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posa dans le cirque avec d’autres chrétiens aux morsures des bêtes féroces, celles-ci ne la touchèrent pas. Elle dut aussi s’asseoir sur la chaise ardente. À la fin, on la roula dans un filet et on lança contre elle un taureau furieux qui l’acheva en la jetant en l’air à plusieurs reprises.

On a de tout cela, comme je l’ai dit, un rapport authentique dressé par des témoins oculaires et envoyé par eux aux chrétiens d’Asie. Eusèbe reproduit une grande partie de cette lettre des chrétiens de Lyon, qui compte parmi les plus anciens monumens de l’histoire de l’église. On en fit aussi parvenir une copie à Rome à l’adresse de l’évêque Éleuthère, et ce fut un presbytre de Lyon, du nom d’Irénée, qui fut chargé de ce dernier message. Telle est en effet la porte sanglante par laquelle Irénée entre dans l’histoire. Pour la première fois il est question de lui à la fin de cette lettre, et les termes flatteurs pour son caractère par lesquels on le recommande à la bienveillance de l’évêque romain prouvent qu’il était déjà tenu en haute estime par les chrétiens du chef-lieu de la Lyonnaise première, quoiqu’il fût encore inconnu de ceux de la capitale de l’empire.

D’où venait-il ? quels étaient ses antécédens ? Nous voici de nouveau en présence d’un de ces personnages célèbres de la chrétienté primitive dont les idées, les tendances, le caractère, semblent bien connus, mais dont la vie est à peu près toute cachée. Ce n’est que par induction, en s’appuyant sur quelques passages de ses œuvres, qu’on peut jusqu’à un certain point tracer les lignes générales de sa biographie.

Ainsi l’on sait par son propre témoignage que, dans son enfance (παῖς ὢν ἔτι (pais ôn eti)), il a vu et entendu Polycarpe, l’évêque-martyr de Smyrne, qui alors, dit-il, avait atteint les dernières limites de l’âge (πάνυ γηραλέον (panu gêraleon)) . La manière dont il parle ensuite de ses impressions et de ses souvenirs relativement au vénérable vieillard nous montre bien qu’il était enfant au sens rigoureux de ce mot quand il reçut ses leçons. Or Polycarpe mourut l’an 166 ou 167. Comme pourtant il ne faudrait pas reculer trop loin dans la première enfance de son jeune disciple, il en résulte qu’on peut, avec beaucoup de vraisemblance, penser qu’Irénée naquit vers l’an 150, au milieu du règne d’Antonin le Pieux, et qu’il avait de seize à dix-sept ans quand il perdit son maître vénéré. Une partie de son enfance se passa donc à Smyrne, et s’il n’est pas originaire de cette ville même, il n’est pas probable que, si jeune encore, il y fût venu de bien loin. Il doit avoir aussi fréquenté l’école de Papias, ce vetus homo d’Asie-Mineure, conservateur passablement borné de traditions remontant au temps des apôtres, et dont, pour cette