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de la terre. D’un autre côté, il est certain que le Vêda fut connu dans le monde grec avant la venue de Jésus-Christ : il y a dans les poésies alexandrines publiées sous le nom d’orphiques des vers traduits mot à mot de certains hymnes du Vêda ; il y a des noms de divinités qui ne se trouvent que dans ces hymnes et n’ont jamais paru dans le vrai panthéon hellénique. Les cérémonies qui s’accomplissent le samedi saint lors de la rénovation du feu non-seulement ont un caractère védique très prononcé, mais renferment telle oraison où, pour en faire une hymne du Vêda, il n’y a que les mots Hébreux et Égyptiens à remplacer par ceux d’Aryas et de Dasyus. Voilà quelques faits propres à nous mettre sur une voie nouvelle.

On enseigne à Berlin[1] qu’une partie notable de nos rites vient de l’Inde ; mais, comme la science du rituel chrétien n’est pas même ébauchée, nous ne voudrions pas énoncer affirmativement une assertion reposant sur des hypothèses ou tout au plus sur des probabilités : c’est pour cela même que nous avons insisté sur ce point avec l’espoir que la science ne tardera pas à marcher dans cette direction. Quoi qu’il en soit, il est certain que les rites chrétiens ont plus d’une origine et manifestent dans leur évolution les deux tendances qui se remarquent aussi dans les dogmes. Cela ne doit pas nous surprendre, s’il est vrai, comme le veut, la théorie confirmée par l’observation générale des faits, que le rite suit le dogme et qu’il en est l’expression symbolique et sensible. Le rite hébreu ne procède que des dogmes hébreux, et ceux-ci ont une rigidité qui ne leur a jamais permis de se plier aux besoins des autres races ni de rien recevoir du dehors. Les Israélites n’admettaient chez eux que les produits matériels des autres nations : c’était pour eux l’objet d’un commerce lucratif qui, à partir du roi Salomon, s’étendit vers l’Inde par la Mer-Rouge, et qui finit par se propager dans tout le monde ancien ; mais leurs contacts multipliés avec les étrangers ne changèrent pas leur religion, qui dure encore. Les invectives des saints d’Israël contre l’introduction de cultes étrangers et les rudes pénitences que le peuple de Dieu eut à subir plus d’une fois avant de rentrer en grâce auprès de lui sont autant de preuves de l’inflexibilité des rites hébraïques et de l’esprit qui les animait. En n’y prenant que ce qu’il y avait d’humain et en adoptant des rites aryens dont le symbolisme grandiose s’accordait bien avec les dogmes nouveaux, les chrétiens primitifs se sont placés sur un terrain neutre ouvert à toutes les nations, et ont institué un culte véritablement universel.

Du reste, cette double tendance n’a pas produit d’un seul coup

  1. Voyez A. Weber, Histoire de la littérature indienne.