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avec M. le docteur Philipson, que le christianisme tient quelque chose du judaïsme et quelque chose aussi des autres religions ; mais il le faut dire dans un tout autre sens et comprendre que la métaphysique chrétienne est née de la rencontre et du mélange des deux grands courans religieux qui portent l’humanité, le courant sémitique et le courant aryen.

C’est à la science de discerner ce qui appartient à l’un et à l’autre. Le monothéisme chrétien, avec l’idée de la création, qui en est la conséquence, a certainement une origine sémitique, car ni l’individualité divine, ni la doctrine qui fait venir le monde de rien, n’ont paru à aucune époque dans les religions aryennes ; il n’y a même pas en sanscrit un terme qui signifie créer au sens que les chrétiens donnent à ce mot. On sait néanmoins à quelle époque et sous quelle influence a été discutée théoriquement et définitivement établie la trinité des personnes divines : ce fut au temps où l’école d’Alexandrie développait sa théorie des hypostases, terme qui fut adopté par les philosophes de cette école comme par les chrétiens pour signifier ce qu’on nomma en latin les personnes de la trinité. Entre celles-ci et les hypostases alexandrines, la différence apparente est très petite, la différence réelle est très grande. Les docteurs chrétiens ne perdaient pas de vue l’unité individuelle du Dieu créateur, telle qu’ils l’avaient reçue de la tradition sémitique, et les personnes de la trinité ne pouvaient être que des faces diverses de ce Dieu, égales entre elles et égales aussi à l’unité fondamentale qui les réunissait. Cette doctrine avait d’ailleurs besoin de s’accommoder avec celle de l’incarnation, que le dogme pur des Sémites était trop étroit pour admettre. La création, la trinité et l’incarnation du fils sous figure humaine de Jésus constituèrent donc un dogme où l’élément sémitique et l’élément aryen s’unirent sans se confondre. La philosophie alexandrine au contraire est exclusivement aryenne, car elle procède à la fois du platonisme et des doctrines de l’Inde et de la Perse, qui depuis quatre cents ans fermentaient dans Alexandrie. Le panthéisme n’admet ni l’individualité, de Dieu séparé du monde, ni la possibilité d’un acte créateur tirant un être du néant ; mais d’un autre côté l’Être absolu ne peut passer à l’acte et se développer en vertu de la loi de l’émanation que s’il revêt d’abord ces formes secondes auxquelles les philosophes donnèrent le nom d’hypostases. La diversité de ces hypostases ne permet pas qu’aucune d’elles soit égale à l’Être absolu, en qui elles résident ; c’est leur somme qui lui est égale, et lorsque chacune d’elles se développe à son tour en vertu de la même loi, aucun de ses modes n’est égal à elle, mais elle est égale à la somme de ses modes. On voit dans quelles limites la doctrine des philosophes exerça