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l’extrême faiblesse de la philosophie musulmane, comparée à la puissance de la métaphysique chez les Grecs et chez les Indiens des temps brahmaniques. Il est permis d’attribuer cette exiguïté scientifique des religions fondées sur le Koran moins peut-être au caractère particulièrement moral de la révolution musulmane qu’à la nature de l’esprit sémitique, toujours inférieur, en matière de science, au génie des peuples aryens. Cette opinion, depuis longtemps répandue parmi les savans, se confirme de plus en plus chaque jour, et tend à devenir un point de doctrine incontestable. Il est certain en effet qu’il n’y a presque pas de philosophie théorique dans les livres sémitiques qui ont précédé le Koran, c’est-à-dire dans la Bible et dans les autres écrits des Hébreux[1]. Si l’on n’avait sous les yeux que la suite des religions procédant exclusivement du mosaïsme, la loi qui nous montre les religions ne prenant un caractère définitivement pratique qu’après avoir été pour ainsi dire étrangères à la morale ne pourrait pas être établie ; mais il est certain que les religions purement aryennes se sont développées suivant cette loi. Le bouddhisme[2] dans l’Inde est resté pendant plusieurs siècles confondu, quant à sa partie métaphysique, avec certaines écoles des brahmanes. Plus tard, soit quand il s’est séparé d’elles, soit quand il a quitté l’Inde pour s’étendre dans le Tibet, dans l’île de Ceylan et chez les peuples de race jaune, il a conservé, quoiqu’en les modifiant, la plus grande partie des symboles brahmaniques. Au contraire, dès le premier jour, le Bouddha s’est présenté aux hommes comme instituteur d’une doctrine morale fondée sur la vertu et sur la charité. Quand ses disciples se sont réunis en concile pour composer la primitive église bouddhiste, le seul but qu’ils se sont proposé d’atteindre a été, non d’enseigner aux hommes une métaphysique nouvelle, mais de changer leurs mœurs, qui étaient mauvaises, d’ôter de leur âme les passions qui avilissent, et de les réunir dans un sentiment universel d’amour (maitrêya). De là sont nés ce prosélytisme, cette abnégation sans mesure, qui ont fait de ses apôtres les civilisateurs de peuples auparavant barbares, comme ceux du Tibet et de la presqu’île au-delà du Gange. Ces peuples sont restés de très mauvais métaphysiciens, mais ils ont vu leurs mœurs s’adoucir, et ils font dater du bouddhisme le commencement de leur civilisation. De là aussi cet esprit d’association religieuse qui a donné dans tout l’Orient un si grand empire aux églises bouddhistes, qui a fait de la prédication un des premiers devoirs des prêtres, de la confession une pratique

  1. Voyez Renan, Averrhoès.
  2. Voyez Eugène Burnouf, Introduction à l’histoire du Bouddhisme indien.