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fort empruntés ; elles ne relèvent que des mathématiciens. La confusion naît alors de l’empiétement. C’est ainsi que la liberté d’esprit se perd et que les responsabilités se déplacent : on arrive au chaos par la route la plus directe. Il ne s’agit plus d’une science particulière, mais d’une science qui vise à devenir universelle. Vainement dira-t-on que l’économie politique est fondée à suivre l’activité de l’homme dans toutes les formes que revêt cette activité. Ce sont là des généralités, rien de plus, et on sait où mènent les généralités. La prétention pourrait s’étendre au même titre à la plupart des sciences. Il n’en est point qui ne s’occupe de l’homme pour le servir ou pour l’éclairer ; par des procédés d’induction, elles pourraient sortir aussi de leurs prérogatives légitimes. La médecine pénétrerait dans la philosophie par les fonctions du cerveau, la botanique dans la médecine par les vertus et les propriétés des plantes, la chimie dans la physique et la physique dans la chimie par les points où leurs frontières sont ouvertes, l’action où la composition des corps. Ainsi des autres ; qu’elles cessent de se contenir, l’obscurité commence, et dans la force que l’on cherche, on perd une partie de la force que l’on a.

Un autre écueil pour la science économique est de se jeter avec trop d’empressement dans les débats de circonstance. Le monde des affaires est une arène où les intérêts aux prises cherchent partout des auxiliaires à l’appui de leurs prétentions. On sait combien ces mêlées sont vives, quels coups secrets on s’y porte, quel acharnement on y met. Il y a des millions au bout ; c’est tout dire. Il y a aussi des puissances engagées qui n’éprouvent pas de grands scrupules sur l’emploi des moyens. Il est arrivé des cas où l’économie politique a été prise à partie, on l’a sommée de s’expliquer ; on lui demandait sous forme de conseils le poids de son influence. Ce sont là des situations délicates qu’une science ne doit ni éviter ni rechercher. Il est constant que, dans ce qui est de son ressort, elle a toujours une action indépendante à exercer et une voix désintéressée à faire entendre ; l’occasion est d’autant meilleure pour être écoutée que l’attention est plus profonde. Sur les points en litige et les problèmes soulevés, elle a donc à intervenir dans le sens et dans l’intérêt des principes : son silence serait une sorte d’abdication. Peu importe que chacune des parties n’accepte de son arrêt que ce qu’il aura de favorable ; elle doit le rendre. Le droit et le devoir sont évidens, la compétence est irrécusable ; mais il importe que la défense des doctrines ne ressemble pas à la défense d’un intérêt. Qu’il y ait un procès engagé, peu importe à la science : elle n’en est ni juge, ni arbitre ; tout au plus intervient-elle comme cour de cassation, en négligeant les faits pour maintenir la loi.

La même réserve et la même discipline sont à conseiller pour