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Quant à Malthus, qui voyait la famine au bout de la pullulation de l’espèce, l’expérience ne semble guère justifier ses sombres pronostics. Soixante-cinq, ans se sont écoulés depuis le jour où son livre donna un premier coup de tocsin. Qu’on observe les faits de sang-froid ; concluent-ils en sa faveur ? Sur quel point du globe cette loi de progression qui lui appartient a-t-elle eu ses effets et amené les scènes lamentables qu’il avait prédites ? Il y a eu, il est vrai, des accroissemens de population, mais qu’ils sont loin de ce qu’il annonçait ! À ces accroissemens de population l’activité humaine a répondu par un accroissement de ressources évidemment supérieur, et en fait il y a aujourd’hui moins d’affamés qu’au temps où il écrivait. Il existait un pays qui était comme le point de mire des défenseurs de son système ; le chiffre de la population y doublait dans une période de vingt-cinq ans : c’était l’Amérique du Nord. Voici pourtant que, par un jeu du sort, ce dernier argument s’effondre ; cette population exubérante est mise en coupes réglées. Dans ces surprises que nous infligent les instincts violens se trouve la loi d’équilibre que Malthus attendait d’instincts mieux réglés.

Parmi les défenseurs des théories sur la population, aucun n’a été plus loin que Rossi. J.-B. Say s’était contenté d’un acquiescement silencieux ; son successeur en a fait l’objet de trois leçons, des plus brillantes qui soient dans son cours. Si cette cause eût pu être sauvée, elle l’eût été de sa main. Il en dissimule les faiblesses avec un art accompli et en fait valoir les ressources avec une vigueur qui va jusqu’à l’éloquence. La pièce restera au procès comme ce qu’il y avait de plus pertinent à dire. Jusque-là pourtant il s’est tenu sur un terrain battu ; la forme seule lui appartient ; n’a-t-il rien en propre quant au fond ? Il a en propre une suite de leçons sur le régime colonial qui sont des modèles de discussion, et dans le reste du cours des échappées vers la science du droit dans ses rapports avec la science économique. Dans la doctrine, il a également posé des problèmes qui sont à lui et qui prêtent à la controverse. L’un concerne les prix de revient, l’autre la valeur en usage. On sait quelle place tient en économie politique la loi de l’offre et de la demande qu’on peut appeler la loi du marché. L’offre représente la quantité des produits qui cherchent un acheteur, la demande est la quantité des produits que l’on désire acquérir. La demande est-elle forte et l’offre faible, les prix se maintiennent ou s’élèvent. Au contraire, l’offre est-elle abondante et la demande rare, à l’instant les prix déclinent. Dans les deux cas, c’est la concurrence qui devient déterminante ; elle se déclare entre les vendeurs quand la somme des marchandises excède celle des besoins ; elle naît entre les acheteurs quand la somme des besoins excède celle de la marchandise. Il va