Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/966

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivre la trame de son raisonnement. On eût dit qu’à de certains momens, dans des pauses calculées, il essayait d’initier les intelligences au secret de sa composition et de les solliciter avant de les satisfaire. C’était comme un exercice et un concours, et quand le professeur livrait son dernier mot, il se trouvait qu’en définitive personne n’avait rencontré aussi bien que lui. Ce fut ainsi que, pendant six ans, Rossi forma, éclaira le monde d’élite qui entourait sa chaire ; il fit mieux qu’entretenir, il répandit le goût de l’économie politique. Il n’était pas jusqu’à cet accent italien dont s’était moquée la jeunesse des écoles qui ne donnât à sa parole une saveur de plus. Mais aussi, sous cet accent, quelle langue purement française ! quelle justesse dans le ton, quelle propriété dans l’expression ! surtout quel enchaînement dans les idées ! Ce sont là, pour Rossi, des lettres de naturalisation plus durables que celles dont plus tard il se pourvut à la chancellerie. Dans ce qu’il a dit ou écrit, les parties sont si bien liées qu’elles ne semblent former qu’un bloc ; tout vient en son lieu, dans son ordre, avec une méthode, une clarté qui rendent sensibles les raisonnemens les plus abstraits. Nul doute qu’il n’y eût au fond de cela une préparation sérieuse. Dans sa chaire du Collège de France, elle ne se montrait que sous la forme de notes déposées sur le bureau. Ces notes se réduisaient à des copies de textes cités, à des documens statistiques dont les chiffres entraient dans la matière des leçons. De temps à autre, le professeur en détachait un feuillet à l’appui de son improvisation. Point d’incohérence ni de trouble dans l’emploi de ces pièces auxiliaires ; elles faisaient corps avec le sujet et n’en dérangeaient pas l’unité. Seulement il arriva plus d’une fois que, cédant à la chaleur du débit, il ne fit pas de son faisceau de preuves tout l’usage qu’il s’en était promis. L’inspiration dominait et portait plus haut l’expression de la pensée ; c’étaient les bons jours, les veines heureuses, et le public s’y associait par ses applaudissemens.

Le Cours de Rossi a été imprimé ; il est dans toutes les mains et a pris place, comme celui de Say, parmi les rares monumens de l’économie politique. Il porte l’empreinte d’un esprit à la fois puissant et respectueux. L’originalité de Rossi consiste dans la façon dont il expose et compare les théories qu’il défend. Il le fait librement, avec une grande indépendance d’esprit, les appuie dans ce qu’elles ont de fondé, les complète dans ce qu’elles ont d’insuffisant, les discute dans ce qu’elles ont pour lui de défectueux. Les notions restées à l’état de problèmes l’attirent et le frappent plus vivement que le reste. Il les commente dans de savantes analyses. À les lire, on ne sait ce qu’on doit le plus admirer de la modération qu’il y montré ou de la sagacité qu’il y déploie. Point de subtilités