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l’Europe adoptait avec une faveur qui n’était pas équivoque, la France ne pouvait le repousser de parti-pris et sans expérience préalable. À ces instances le gouvernement n’opposa d’abord qu’une force d’inertie. Enfin, après de longs ajournemens, il consentit, en 1819, à mettre la question à l’étude. On devait examiner dans quel corps enseignant l’économie politique pouvait être introduite, et subsidiairement sous quelle étiquette on l’y introduirait. Le Collège de France fut écarté tout d’abord, les résistances y étaient trop vives. Dans les facultés, le conseil des professeurs ne s’était pas prononcé ; peut-être montrerait-il plus de bonne volonté. Un arrêté fut discrètement préparé ; il décidait en principe qu’une chaire d’économie politique serait créée à la faculté de droit. Quand et comment, le document était mulet là-dessus. En réalité, il n’est devenu exécutoire qu’en 1864, après quarante-cinq ans de sommeil. Restait le Conservatoire des arts et métiers ; ici l’affaire était en bonnes mains et fut vivement menée. Le baron Thénard y mit une ardeur qui ne se démentit pas. C’est une justice à rendre à sa mémoire qu’on lui doit la première chaire d’économie politique établie en France ; Jean-Baptiste Say s’effaça derrière lui et n’agit que par ses inspirations et ses conseils. Pour ne pas causer d’éclat, il fallut donner à cette chaire des habits d’emprunt, la faire aussi humble, aussi modeste que possible. Son objet fut défini d’avance par le professeur qui devait l’occuper et réduit à des termes qu’il ne devait ni modifier ni dépasser : précautions singulières, et qui montrent à quel point l’homme et les idées étaient suspects ! C’est dans une lettre adressée à Thénard, et concertée entre eux, que Say s’en explique. Point d’airs de conquête ni de plans ambitieux. Il conformera ses leçons à l’esprit de l’établissement où il désire être admis, et qui à ses yeux est l’école supérieure de l’industrie. Il s’adressera moins aux ouvriers qu’aux entrepreneurs, qui, faute de notions exactes, conduisent leurs travaux un peu à l’aventure. Il leur dira comment et en quoi les arts concourent à créer les valeurs, il leur apprendra à se rendre compte de leurs opérations, à faire entrer dans leurs calculs plus d’élémens d’exactitude, en un mot à réfléchir pour bien agir. C’est là ce qu’il se propose et ce qui lui semble être un complément utile aux cours existans. Le commerce en pourra tirer parti comme l’industrie et y puiser des règles plus sûres de conduite ; l’administration elle-même y trouvera cet avantage, de se délivrer de beaucoup d’obsessions et d’établir plus facilement la balance entre des intérêts plus éclairés ; Telle était cette lettre qui devait être soumise au comité. Un langage si mesuré ne pouvait manquer son effet : l’avis fut favorable, et peu de temps après le ministre y déféra. Tout semblait terminé, et pourtant ce fut bientôt