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derniers siècles, briller d’un plus vif éclat et produire en plus grande abondance ces talens variés et féconds, pleins de savoir au fond, bien que parfois de légère apparence, qui ont fait le charme de nos pères et la gloire de notre art français, c’est, qu’elle avait au flanc une ennemie, une rivale plus ou moins incommode, tantôt cette maîtrise d’humeur mercantile et jalouse, tantôt son héritière, son enfant, cette académie de Saint-Luc, qui, après la mort de Lebrun, protégée tout à coup, puis par moment abandonnée, mais survivant toujours, accaparait en somme une assez bonne part dans l’enseignement de nos arts du dessin. — Point d’influences dangereuses quand elles sont ainsi disputées. Les doctrines les plus absolues n’ont jamais opprimé personne, lorsqu’en face d’elles d’autres doctrines se manifestent librement. Il n’y a de tyrannie que par le monopole. Or l’École des Beaux-Arts, nous le reconnaissons, était, depuis 1803, depuis sa reconstitution, seule maîtresse de notre enseignement, sans concurrence, sans contre-poids : nous-même, plus d’une fois nous avions signalé les dangereuses conséquences de cet isolement ; mais peut-on se vanter d’avoir détruit un monopole lorsqu’en le détruisant on l’a du même coup remplacé par un autre ? Comprend-on ceux qui prônent comme acte de libéralisme cette simple permutation d’une influence exclusive contre une autre qui l’est également ? Monopole administratif ou monopole indépendant, nous demandons quelle est la différence ?

Le nôtre est moins étroit, disent les auteurs du décret, il n’est pas absolu. Nous admettons tous les systèmes, nous sommes de tous les partis. On professe chez nous avec même faveur le pour, le contre, tout ce qu’on veut. Nous trouvons bon que « dans la même enceinte on prêche tour à tour l’imitation servile de la nature et la recherche d’un type idéal. » Quelle tolérance, quelle largeur d’esprit ! Et vous n’admirez pas ? vous n’êtes pas content ? ce n’est pas là, pour vous, de la vraie liberté ? — Non, franchement, c’est autre chose, c’est la tour de Babel.

Autant le choc naturel d’opinions contraires luttant par leurs propres forces, chacune sur son propre terrain, serait fortifiant et inspirateur, autant ce jeu factice de contradictions convenues est à la fois puéril et énervant. Vous troublez cette pauvre jeunesse : elle vous demande des leçons, vous lui donnez des doutes ! elle sait à peine quelque chose, et vous la faites juge des questions les plus insolubles, ou tout au moins les plus complexes, qui se puissent poser. — Choisissez, jeunes gens : l’état veut vous guider, il est jaloux de vous instruire, mais ne vous prescrit, ne vous conseille rien ; il se fait gloire de n’avoir pas d’avis. Tout est vrai, tout est faux : sortez de cette impasse. Optez, suivez votre penchant, consultez