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amour, et que sa miséricorde n’éclate jamais mieux que dans ses rigueurs. L’homme est naturellement paradoxal.

Certes il faut un singulier état d’esprit pour écrire ce qui se lit dans une lettre de la mère de Chantal : « Quand sera-ce, me disait une fois notre bienheureux père (saint François de Sales), sur une occasion où il y avait apparence qu’on trancherait la tête à feu mon fils pour ses misérables actions du monde, quand sera-ce, me disait ce grand saint, que nous témoignerons à Dieu notre inviolable fidélité, si ce n’est en ces occasions si âpres et si dures à la nature ? » Ne nous étonnons donc pas que dans cette tension de l’âme inséparable de la vie dévote (je parle le langage du bienheureux père), on puisse sans trop d’étonnement, les uns inventer, les autres accepter cette thèse étrange que le mal sur la terre atteste particulièrement la perfection divine et que le malheur est une visitation de celui dont il est écrit : Il a passé en faisant le bien.

On ne veut ici ni contester, ni déprécier les sentimens sincères et profonds que peuvent inspirer ces croyances exaltées. Il y a de nobles erreurs qui entraînent de nobles sacrifices, et on peut admirer des choses que l’on n’approuve pas. Si l’on pouvait douter de ces beaux effets de l’erreur même, que d’exemples se lèveraient pour nous en convaincre !

Je ne sais si la chaire a produit de nos jours un orateur supérieur à M. Adolphe Monod, et sa ferveur était encore bien au-dessus de son talent. Dans ce temps ; où l’on parle beaucoup de religion, on s’y intéresse si peu, quand la politique ne s’en mêle pas, qu’on ne sait peut-être point qu’il a été éloquent et surtout qu’on a de lui un livre étrangement beau, ses Adieux à ses amis et à l’église. Ce sont les sermons que pendant les six mois de supplice d’une douloureuse et mortelle maladie il adressait chaque dimanche à ses amis réunis autour de son lit. Les annales de la foi ne contiennent rien de plus tragiquement édifiant. Les actes des martyrs sont rarement plus pathétiques. Je ne connais pas de plus touchant témoignage de l’héroïsme chrétien.

Eh bien ! ces confessions d’un mourant, ces épanchemens, qui respirent la sincérité, la patience et le courage, sont l’expression de l’état le plus forcé, le plus artificiel d’une grande âme nourrie de sublimes hyperboles. Cette conscience si pure se sent pleine de péché ; croyante et pieuse, éprouvée par des douleurs qui la sanctifient, elle se hait soi-même, elle réserve tout son amour pour les rigueurs de Dieu, toute sa reconnaissance pour les souffrances qu’il lui envoie. « Cette vie crucifiée, dit-il, est la vie bienheureuse.. » Comment ne pas admirer cela, et pourtant comment le trouver vrai, je dis vrai d’une vérité de tous les jours, d’une vérité de droit