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les lettrés ? Déjà l’ancienne école en avait fait l’essai. À titre d’associés libres ou de membres honoraires, elle avait introduit des amateurs dans ses rangs, et souvent ces oisifs s’y étaient illustrés. Sans travailler comme les autres, il s’en fallait que dans la ruche ils fussent d’inutiles frelons.

On le voit donc, même en cherchant dans le passé, en ne fouillant que d’anciennes coutumes, on pouvait trouver du nouveau, et plus qu’il n’en fallait pour rajeunir l’école. Jamais institution d’aussi vieille origine n’aurait pu être mise en meilleure harmonie avec l’esprit et les besoins de notre temps. Pourvu qu’on eût la moindre envie de ne pas la détruire, on n’avait que le choix des moyens de la restaurer. Mais on ne voulait pas la faire vivre, la preuve en est écrite à chaque ligne du rapport, et par là nous n’incriminons ni capricieux motif étranger à l’intérêt de l’art, ni même excès de zèle, sollicitude exagérée pour ce principe que d’officieux amis appellent « l’unité de nos institutions. » Non, le seul vrai motif des rigueurs du décret, c’est la conviction personnelle de ceux dont il est l’ouvrage, conviction purement esthétique, mais exclusive et absolue. Ils n’ont pas voulu transiger, parce qu’une transaction n’eût fait que maintenir, même en le mitigeant, le régime de l’ancienne école, le recrutement du professorat par lui-même, et que tout corps qui se recrute ainsi, qui perpétue son existence par le droit de libre élection, perpétue en même temps son esprit, ses doctrines, fonde et transmet des traditions : or des traditions, des doctrines, dans l’opinion des auteurs du décret, ce n’est pas autre chose que l’esclavage de l’art.

Ils sont donc conséquens ; nous le sommes aussi en regrettant profondément l’indépendance de l’école, car nous croyons que la vraie liberté pour nos arts du dessin, celle qui pourrait encore les relever, les affranchir, c’est le secours de ces prétendues chaînes qu’on se vante d’avoir brisées. Des traditions, des doctrines ! le génie seul peut s’en passer, et encore avons-nous bien la preuve qu’à ses débuts surtout il n’en ait pas lui-même plus d’une fois besoin ? Mais au-dessous de lui, dans les régions qui l’avoisinent et d’où sortent encore tant d’œuvres distinguées et parfois supérieures, croit-on que sans secours, sans règles, sans jalons, sans vérités acquises, sans exemples transmis, il en sortirait autre chose que de trompeuses fumées ? La tradition, ce n’est pas la force du navire, ce n’en est pas la beauté, la grâce, la vitesse, c’est le lest nécessaire, sans lequel le talent s’aventure et se perd dans d’impuissantes navigations.

Il nous faut donc des traditions, il nous faut des doctrines ; qui nous les donnera ? L’état ? Qu’est-ce que l’état en matière d’art ? Un