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remontrance et l’interdit des émotions. Aussi, en levant sans cesse les yeux vers le monde invisible, elle jette sur celui-ci un regard plein d’intelligence, de complaisance et d’amour. Elle trouve, dût la doctrine de la chute en souffrir quelque atteinte, des beautés à la nature, à la vie, à l’âme qui pense et qui aime. Elle ne peut se défendre d’un certain faible pour les joies comme pour les douleurs du monde, et quand elle s’efforce de rappeler à Dieu les passionnés, les indifférens, les sceptiques, c’est en entrant dans leurs peines, c’est en leur peignant avec plus de vivacité et de vérité qu’ils ne le feraient eux-mêmes ce qui les charme, les trouble ou les désole. Plus sa pensée s’attache avec enthousiasme aux choses célestes, plus elle goûte tout ce qui embellit la terre. Jamais elle ne trouve des couleurs assez brillantes pour peindre la nature et la vie. Sur toutes choses, elle projette un reflet de la lumière intérieure ; elle aimerait mieux outrer l’effet pittoresque que de s’y montrer insensible. La puissance des arts l’émeut ; elle admire de bon cœur, et toutes les richesses du talent de décrire lui suffisent à peine pour rendre à son gré l’enchantement de ce qu’elle voit autour d’elle et de ce qu’elle rêve au-dessus d’elle, car la témérité de son imagination ne tremble pas d’aborder la sphère inaccessible, ce royaume de magnificences et de béatitudes où pénètre seul l’œil de Dante ou de Milton. En général, son talent ne craint rien ; la description de l’inconnu, la peinture des sites et des cieux, l’analyse de l’âme, la critique des mœurs, des travers, des ridicules, il aborde tout avec une liberté mutine qui se réfléchit dans les allures dégagées d’un style tour à tour poétique et abstrait, étincelant et familier, vague et piquant, naturel et recherché, qui se permet tout, excepté la platitude et la froideur. Ce cœur si chaste, cette conscience si sévère, cette foi si haute, se plient aux hardiesses capricieuses d’un écrivain mauvaise tête qui, sûr de ses croyances et de ses intentions, peut toucher à tout sans péril, semblable à ces oiseaux éclatans et légers dont l’aile traverse tous les tourbillons et tous les orages sans conserver une goutte d’eau ni un atome de poussière sur ses plumes veloutées.

Son premier regard s’est porté autour d’elle, et, sans beaucoup s’éloigner du logis, elle a vu, dans les habitations voisines, dans les vallées, sur les coteaux, dans les bourgs des environs, les petites scènes de la vie de chaque jour, variées, animées par les mouvemens du cœur et du caractère, drames intimes qui avaient pour théâtre un coin du plus beau pays du monde, et elle les a retracés dans la clarté comme dans la demi-teinte, ces horizons prochains traversés par un rayon venu de plus loin, et qui perce tous les nuages. Mais ce rayon vainqueur, d’où vient-il ? Il vient des cieux,