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télégraphiques, et veulent les voir appuyées par une grosse tirade. C’est aussi à ce point de vue qu’ils jugent nos journaux français ; ils ne goûtent pas l’éloquence modérée, le style contenu, la fine ironie de M. Prevost-Paradol ; ils préfèrent de beaucoup les premiers-Paris des journaux démocratiques. Rappelons-nous nos propres gazettes de 89, leurs déclamations, leurs gros mots et leur rhétorique vide.

Le collège des jésuites est maintenant sous l’invocation de Victor-Emmanuel. Dans la rue, on rencontre les écoliers de divers établissement conduits, non plus par un prêtre, mais par un sergent. C’est sur cette transformation et sur l’accroissement de l’éducation publique qu’ils fondent leurs meilleures espérances. Ils ont établi cinquante-huit écoles communales à Naples et une dans chaque chef-lieu. Dans la classe moyenne, beaucoup de gens lisent. Tous les livres intéressans ou savans d’Allemagne, d’Angleterre et de France arrivent chez le libraire Detkens ; les plus solides ouvrages de physiologie, de droit, de linguistique, surtout de philosophie, trouvent là des acheteurs ; sa boutique est le soir une sorte de club littéraire et scientifique. Ils éprouvent une satisfaction infinie à causer librement, et sur tous ces grands sujets. « Il y a trois ans, disent-ils, même la porte close, nous n’aurions osé parler. Si on nous avait vus ensemble, nous aurions eu un espion à nos trousses. » Ils sont en ce moment dans toute l’ardeur de la production et de la renaissance. On fouille à force à Pompéi et on publie les nouvelles découvertes dans de magnifiques livraisons ornées de dessins polychromes. C’est un plaisir que de voir ces têtes fines italiennes, ces yeux expressifs, et de deviner sous leurs façons réservées leur ardeur intérieure ; ils expriment haut ou laissent percer cette joie profonde d’un homme qui remue ses membres après avoir été longtemps en prison. En fait d’idées, ils ne manquent pas de préparation ; déjà sous les Bourbons, deux ou trois libraires faisaient fortune par la contrebande, payant le douanier, l’examinateur, cachant les livres sous leur lit et les vendant au quintuple. Ainsi se sont formées de bonnes et belles bibliothèques, même dans les provinces, par exemple celle du père du poète Leopardi. Tel petit noble, tel bourgeois retiré étudiait, non certes pour la gloire ou le profit (c’était un danger que d’être savant), mais, pour apprendre. De cette façon on apprend vite et beaucoup. J’ai vu un jeune homme de vingt et un ans qui a travaillé ainsi tout seul et pour lui-même, et qui sait le sanscrit, le persan, une dizaine de langues, qui connaît fort bien Hegel, Herbart, Schopenhauer, Mill et Carlyle, qui est au courant de tous nos écrits français et de toutes les nouveautés allemandes, de tout ce qui tient au droit, aux philosophies, aux études de linguistique et d’exégèse. Son érudition et sa compréhension