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Conversation en chemin de fer avec un homme de trente ans, commissionnaire en coton. Il court les environs et achète les récoltes pour les revendre aux Anglais. La campagne qui entoure le Vésuve est maintenant plantée de cotonniers. Selon lui, depuis trois ans, on a fait de ce côté-là des progrès étonnans. Sous les Bourbons, impossible de rien faire, même de vendre et d’acheter. Point de commerce ; ils n’aimaient pas le contact des étrangers, ils décourageaient l’entrée et la sortie des marchandises. À présent qu’on est libre, tout est changé. Le paysan, sûr de gagner de l’argent, plante et travaille, même en été. À midi, il se repose, la chaleur est trop terrible ; mais le soir, le matin, aux heures supportables, il va à son champ. Sous les Bourbons, on ne faisait et on ne pouvait faire que trois choses : boire, manger et parfois s’amuser ; sur tout le reste, interdiction complète. Ni études, ni journaux, ni voyages, ni entretiens de religion ou de politique ; les dénonciations étaient perpétuelles, et les prisons affreuses ; on se sentait à chaque mouvement une main d’inquisiteur sur le corps. Qu’on ait seulement vingt ans à soi, et l’on verra le changement du pays.

Il a voyagé dans le midi, et reconnaît que les brigands font une sorte de chouannerie, mais de basse espèce. Le paysan ne leur est pas trop hostile, parce qu’il est ignorant et superstitieux. D’ailleurs impossible d’aller dans les boschi où se cachent les brigands, et on leur envoie sans cesse des recrues de Rome.


Toujours les brigands, on ne parle pas d’autre chose : selon les gazettes libérales, ce sont des scélérats dignes du bagne ; selon les gazettes cléricales, ce sont des insurgés martyrs. J’ai voulu avoir une opinion à moi, et j’ai lu le journal du général Borgès, Espagnol et bourbonien, qui a traversé dernièrement le royaume de Naples dans toute sa longueur, mais qui a été pris et fusillé à quelques lieues de la frontière romaine. Après cette lecture, on peut compter sur les faits suivans : Borgès était une sorte de Vendéen, il y eut d’honnêtes gens avec lui, par exemple ses officiers. Il rencontra un certain nombre de bourboniens, pâtres, paysans, anciens soldats, mais en petit nombre. Les bandes qui l’appuyaient et qui tenaient le pays avant son débarquement étaient composées de voleurs et d’assassins qui dix fois, à la prise d’un bourg ou d’une ville, pillaient, violaient, tuaient, usaient de la guerre en sauvages. La garde nationale, les gens aisés étaient partout contre eux. Mon hôtesse à Sorrento disait : « Ici et aux environs, il y a trois Piémontais pour un bourbonien ; mais tout en bas, dans le midi, il y a trois bourboniens pour un Piémontais. » Tout cela s’accorde.


Autre conversation à Castellamare, cette fois avec un sous-officier