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nymphe aux beaux cheveux. Un grand feu brûlait dans le foyer, et l’odeur du cèdre bien fendu et du citronnier qui brûlaient se répandait au loin dans l’île. Elle au dedans, chantant avec une belle voix, parcourait la toile et tissait de sa navette d’or. Autour de la caverne était une forêt verdoyante, l’aulne, le peuplier noir, le cyprès odorant, et dedans nichaient les oiseaux aux longues ailes, les mouettes, les éperviers, les corneilles au bec allongé, tous les oiseaux des rivages, qui chassent sur la mer. Autour de la caverne polie s’étendait une jeune vigne, et elle était toute florissante de grappes. Tout auprès coulaient quatre fontaines, avec une eau bouillonnante, voisines l’une de l’autre, et chacune se tournant de son côté. À l’entour fleurissaient des prairies molles d’ache et de violettes ; un dieu qui serait venu là aurait admiré et se serait réjoui dans son cœur. » Elle-même place la table, sert son hôte comme Nausicaa ; au besoin, elle irait avec ses servantes laver ses vêtemens dans le torrent voisin ; on fait alors ces sortes d’actions naturellement comme on marche ; on n’a pas plus l’idée de se décharger de ce soin que de se décharger de l’autre. Ainsi s’entretiennent la force et l’agilité des membres ; c’est un plaisir et un instinct que de les remuer et de s’en servir. L’homme est encore un bel animal, presque parent des chevaux de noble race qu’il nourrit dans ses pâturages ; à ce titre, l’emploi de ses bras et de son corps ne lui paraît pas servile. Ulysse lui-même, avec des haches et des tarières, a coupé et travaillé le tronc d’olivier qui sert d’assise à son lit de noces ; les jeunes chefs qui veulent épouser sa femme dépècent et cuisent eux-mêmes les porcs et les moutons qu’ils mangent. Et les sentimens sont aussi naturels que les mœurs ; l’homme ne se contraint pas, il n’est pas tendu tout d’un côté par l’héroïsme farouche comme en Germanie, par la superstition maladive comme dans l’Inde ; il n’a pas honte d’avoir peur quelquefois et de le dire, d’être attendri et de pleurer ; les déesses aiment les héros, et s’offrent à eux sans rougeur, comme une fleur s’incline vers la fleur voisine qui doit la rendre féconde. Le désir semble aussi beau que la pudeur, la vengeance que le pardon ; l’homme s’épanouit tout entier, harmonieusement et avec aisance, comme ces platanes, ces orangers nourris par la fraîcheur de la mer, par l’air tiède des gorges, et qui étalent la rondeur de leur dôme, sans qu’aucune main les élague, ni qu’aucune intempérie force la sève à se retirer d’un de leurs bourgeons. Du milieu de tous ces récits, parmi les images des forêts et des eaux qu’on vient de traverser, on voit se dégager vaguement les corps des héros antiques, cet Ulysse tel qu’il sortait du fleuve « plus grand de taille et plus large d’épaules » que les autres hommes, « les boucles de ses cheveux retombant sur son col, et semblables à la fleur de l’hyacinthe, » ou bien à côté de lui les jeunes filles qui,