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les villes et dans les états du nord, si l’esprit de parti entrait jusque dans les rangs de l’armée, la rébellion regagnait en un moment tout ce qu’elle avait perdu. Un seul jour a mis à néant ces vaines espérances ; la confédération du sud reste en présence de la sinistre réalité ; elle voit son armée décimée, la moitié de son territoire primitif à jamais perdue, ses dernières villes menacées, son trésor vide, son crédit épuisé. Nulle voix libre ne peut se faire entendre dans ces états soumis au gouvernement militaire ; mais les récits des prisonniers et des réfugiés, le ton des rares journaux du sud, qui laisse deviner les regrets et la lassitude sous une assurance et un enthousiasme de commande, les discours prononcés récemment en Géorgie par M. Jefferson Davis lui-même, les messages, de quelques gouverneurs des états rebelles, la disgrâce du vice-président, M. Stephens, qui jadis fit de grands efforts pour empêcher le mouvement de la sécession, tout donne à penser qu’il s’opère à cette heure un lent déchirement dans la confédération. Une lutte sourde a commencé entre ceux qui, satisfaits d’avoir sauvegardé l’honneur militaire, ne veulent pas attirer sur leur pays de plus grands désastres, et ceux qui, désespérés de ne pouvoir vaincre, ne veulent du moins livrer qu’une solitude à leurs ennemis. On pouvait le prévoir dès le commencement de la révolte : la nouvelle confédération portait dans son sein deux germes de mort, l’esclavage et le principe même de la sécession. Le sud se souleva contre le nord, parce qu’il crut son institution favorite menacée, et voilà qu’au bout de quatre ans de lutte on commence à parler à Richmond de donner des armes aux nègres et de leur offrir la liberté comme prix de leur alliance ! — Les esclavagistes prirent les armes au nom de la souveraineté des états, et voilà que le gouverneur de la Géorgie retourne cette souveraineté contre le despotisme de Richmond, et donne à entendre que chacun des états confédérés peut faire sa paix séparément avec le nord ! Jamais la logique qui court sous les événemens de l’histoire n’a été plus impérieuse ni plus visible : rien n’a pu en retarder les arrêts, ni le courage des armées du sud, ni la fermeté de ce soldat-président, organisateur militaire en même temps que civil, dont la figure a je ne sais quelle grandeur tragique à laquelle ne peuvent rester insensibles les ennemis les plus résolus de sa cause. Si la guerre des États-Unis eût été une guerre ordinaire, cette figure altière eût peut-être fixé les faveurs de la fortune ; mais ce grand choc est en réalité une révolution et dans la lutte de principes qui s’est engagée la victoire restera au président-citoyen.


AUGUSTE LAUGEL.