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et pour en effacer toute trace de l’institution fatale qui a amené sur le pays les fléaux de la guerre civile. Aux émotions, aux inquiétudes, aux agitations qui précédèrent le 8 novembre, succéda presque sans transition un calme absolu. Le triomphe des républicains n’eut rien de bruyant ; leur joie ne fut point la joie fébrile qui salue les victoires obtenues sur les champs de bataille : elle fut muette, intérieure, profonde, la minorité elle-même s’inclina respectueusement devant l’expression de la volonté populaire, et ne resta pas insensible à la grandeur du spectacle que le peuple américain présentait au monde, lorsque au milieu des convulsions de la guerre civile, dans le déchaînement des intérêts hostiles, des passions et des haines, il accomplissait non moins tranquillement qu’aux jours de paix et de prospérité la fonction normale de sa vie constitutionnelle. Les canons aussi s’étaient tus devant Richmond, et les deux armées, pendant la trêve tacite, se livraient aux mêmes préoccupations.

Les premières paroles qui tombèrent des lèvres du président après la réélection furent des paroles de paix et de conciliation. Le général Butler, dans un discours qu’il prononça en quittant New-York, fit aussi entendre que des propositions pacifiques seraient bientôt faites aux états du sud. Les malheurs et les émotions de la guerre n’ont fait germer dans le cœur des habitans du nord aucun sentiment de vengeance ou de haine : ils sont prêts à rendre aux états méridionaux tous leurs droits constitutionnels, à couvrir d’une généreuse amnistie toutes les personnes, à considérer comme une lettre morte tous les décrets de confiscation. Ils ne demandent au sud que le renoncement à une institution désormais considérée comme incompatible avec l’Union. Jamais, depuis le commencement de la guerre, le nord ne s’est senti aussi fort, aussi uni, aussi confiant : tous les doutes, toutes les hésitations, ont disparu ; la guerre a désormais son sens définitif ; toutes les forces de la nation ont trouvé une résultante commune. Cette volonté inconsciente, répandue dans des milliers de volontés individuelles, s’est enfin révélée à elle-même : comme prix de tant de sang versé, de tant de trésors perdus, de tant de larmes, d’efforts et de douleurs, elle ne demande qu’une chose, « l’Union sans l’esclavage. »

Le verdict populaire a déjà jeté un trouble profond dans les rangs des confédérés. M. Jefferson Davis et ses amis espéraient que le parti démocratique obtiendrait la victoire, ils croyaient le nord épuisé, découragé, divisé, et M. Lincoln fût-il élu, ils comptaient du moins que sa majorité serait trop faible pour assurer son autorité morale. Si une nouvelle guerre civile se greffait sur la guerre civile actuelle, si les factions s’armaient les unes contre les autres dans