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et qui changent l’aspect de la terre sur des espaces d’une grande étendue, ont en outre pour la plupart l’avantage considérable de modifier heureusement les climats locaux. Mais l’homme ne se contente point aujourd’hui d’exercer une influence indirecte sur la salubrité de son domaine, et dans un grand nombre de contrées il se propose, comme but immédiat à son travail, l’assainissement du territoire. C’est ainsi qu’en Toscane, la vallée jadis presque inhabitable de la Chiana, où l’hirondelle même n’osait s’aventurer, a été complètement délivrée des miasmes paludéens par la rectification d’une pente indécise, couverte de mares et de lagunes. De même les maremmes de l’ancienne Étrurie sont devenues beaucoup moins dangereuses à la santé des habitans depuis que les ingénieurs toscans ont comblé les marécages du littoral et pris soin d’empêcher le mélange des eaux douces et des eaux salées qui s’opérait à l’embouchure des rivières. Maître d’améliorer par des moyens de cette nature la qualité de l’air qu’il respire, l’homme a peut-être aussi la puissance d’augmenter à la longue l’humidité de l’atmosphère et l’abondance des pluies. Pendant le siècle qui s’est écoulé de 1764 à 1863, la chute annuelle d’eau de pluie s’est élevée à l’observatoire de Milan de 90 à 106 millimètres. Il est probable que cet accroissement graduel des pluies est dû aux irrigations pratiquées sur une si grande échelle en Lombardie et à l’évaporation très active qui en est la conséquence.

À tous ces grands travaux, ayant pour but de modifier au bénéfice de l’homme la surface de notre terre, se lie intimement une œuvre qui peut sembler chimérique à plusieurs, mais qui n’en est pas moins de la plus haute importance. Il s’agit de conserver, d’accroître même la beauté extérieure de la nature, de la lui rendre quand une exploitation brutale l’a déjà fait disparaître. En diverses parties de l’Europe et notamment en France, on pourrait parcourir pendant des heures certains plateaux sans trouver un site où le regard de l’artiste se repose avec satisfaction. Des populations entières semblent avoir pris à tâche d’enlaidir le territoire qu’elles occupent ; elles mutilent ou torturent les arbres isolés qui leur restent encore, transforment la campagne en un labyrinthe de ruelles bordées de murailles, élèvent au hasard des constructions sans goût. Et pourtant il est si facile de mettre le sol en culture tout en laissant au paysage sa beauté naturelle ! En Angleterre, ce pays où les agriculteurs savent faire produire à leurs champs des récoltes si abondantes, mais où le peuple a toujours eu pour les arbres plus de respect que n’en ont les nations latines, il est peu de sites qui n’aient une certaine grâce, ou même une véritable beauté, soit à cause des grands chênes isolés étalant leurs branches au-dessus des prairies, soit à cause des massifs d’essences diverses parsemés avec art autour des villages et des châteaux. En Irlande et en Écosse, c’est par centaines de millions d’arbres que s’est opéré le reboisement des hauteurs, et ces contrées, déjà fort pittoresques, ont été singulièrement embellies par la verdure qui les couvre aujourd’hui. Un district du comté de Mayo dans