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que les Étrusques et les Sicules avaient mis en culture sont des landes inutiles ou, d’insalubres maremmes. Par des causes semblables à celles qui ont eu pour résultat l’appauvrissement et la ruine de l’empire romain, le Nouveau-Monde lui-même a perdu de notables parties de son territoire agricole : telles plantations des Carolines et de l’Alabama qui furent conquises sur la forêt vierge il y a moins d’un demi-siècle ont cessé totalement de produire et sont aujourd’hui le domaine des bêtes fauves.

Si grande que soit la désolation croissante de ces contrées d’Amérique et de tant d’autres où l’homme, arrivé d’un jour à peine, abusé de son pouvoir pour épuiser la terre qui le nourrit, il n’est probablement pas de pays au monde où la dévastation s’accomplisse d’une manière plus rapide que dans les Alpes françaises. Là, les eaux de pluie et de neige enlèvent graduellement la mince couche de terre végétale qui recouvrait les pentes et la portent dans la mer sous forme de limons inutiles ; les roches se montrent à nu ; des talus de débris, de vastes champs de pierres remplacent les prairies et les cultures des vallées. De profonds ravins se creusent peu à peu dans les escarpemens et finissent par découper la crête de la montagne en cimes distinctes qui s’effondrent et s’abaissent rapidement. En certains endroits, on ne voit pas une seule broussaille verdoyante dans un espace de plusieurs lieues d’étendue ; à peine un pâturage grisâtre se montre-t-il çà et là sur les pentes ; des maisons en ruine se confondent avec les rochers croulans qui les entourent. Chaque année, la zone dévastée s’accroît en largeur, et la population disparaît en même temps du sol appauvri : actuellement, sur un espace de 10,000 kilomètres carrés compris entre le massif du Mont-Tabor et les Alpes de Nice, on ne compte pas un seul groupe d’habitans dépassant le nombre de deux mille individus. Et ce désert qui sépare les vallées tributaires du Rhône des plaines si populeuses du Piémont, ce sont les montagnards eux-mêmes qui l’ont fait et qui cherchent encore à l’étendre. Des propriétaires trop avides ont abattu presque toutes les forêts qui recouvraient les flancs des montagnes, et par suite l’eau, que retenaient autrefois les racines et qui pénétrait lentement la terre, a cessé son œuvre de fertilisation pour ne plus servir qu’à dévaster. Si quelque nouvel Attila traversant les Alpes eût pris à tâche d’en désoler à jamais les vallées, il n’eût point manqué d’encourager les indigènes dans leur œuvre insensée de destruction.

Tels sont les changemens qui s’opèrent dans la géographie physique et dans l’aspect général des contrées montagneuses à la suite du déboisement des pentes. Lorsque les plaines sont dépouillées de leurs bois, les conséquences sont moins désastreuses et se font plus longtemps attendre ; mais elles n’en sont pas moins inévitables. La surface terrestre, dépourvue des arbres qui en faisaient la beauté, est non-seulement enlaidie, elle doit aussi nécessairement s’appauvrir. D’après le témoignage presque unanime des géographes, il semble très probable que les pluies annuelles diminuent dans les pays dévastés par les bûcherons et s’accroissent en revanche dans les