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L’action de l’homme donne au contraire la plus grande diversité d’aspect à la surface terrestre. D’un côté elle détruit, de l’autre elle améliore ; suivant l’état social et les progrès de chaque peuple, elle contribue tantôt à dégrader la nature, tantôt à l’embellir. Campé comme un voyageur de passage, le barbare pille la terre ; il l’exploite avec violence sans lui rendre en culture et en soins intelligens les richesses qu’il lui ravit ; il finit même par dévaster la contrée qui lui sert de demeure et par la rendre inhabitable. L’homme vraiment civilisé, comprenant que son intérêt propre se confond avec l’intérêt de tous et celui de la nature elle-même, agit tout autrement. Il répare les dégâts commis par ses prédécesseurs, aide la terre au lieu de s’acharner brutalement contre elle, travaille à l’embellissement aussi bien qu’à l’amélioration de son domaine. Non-seulement il sait, en qualité d’agriculteur et d’industriel, utiliser de plus en plus les produits et les forces du globe ; il apprend aussi, comme artiste, à donner aux paysages qui l’entourent plus de charme, de grâce ou de majesté. Devenu « la conscience de la terre, » l’homme digne de sa mission assume par cela même une part de responsabilité dans l’harmonie et la beauté de la nature environnante.

C’est à ce point de vue très élevé que se place M. Marsh dans son livre important, consacré à l’étude des modifications diverses que l’action humaine a fait subir à la terre. Préparé à son œuvre par de patientes recherches scientifiques et par de longs voyages en Amérique, en Europe et dans les contrées classiques de l’Orient, l’auteur a de plus le mérite de procéder avec la conscience la plus scrupuleuse ; jamais il ne hasarde de conclusions sans avoir cité à l’appui de son dire un grand nombre de témoignages authentiques et de faits incontestés. Le livre de M. Marsh est une sorte d’enquête détaillée, mais trop dépourvue de méthode, sur la manière dont l’homme a rempli ses devoirs de conservation et d’amélioration à l’égard de la terre qu’il habite. Il ressort de cette enquête que sur un grand nombre de points les travaux humains ont encore malheureusement pour résultat fatal d’appauvrir le sol, d’enlaidir la nature, de gâter les climats. Considérée dans son ensemble, l’humanité n’est donc point, relativement à la terre, émergée de sa barbarie primitive.

La surface de la terre offre de nombreux exemples de dévastations complètes. En maints endroits, l’homme a transformé sa patrie en un désert, et « l’herbe ne croît plus où il a posé ses pas. » Une grande partie de la Perse, la Mésopotamie, l’Idumée, diverses contrées de l’Asie-Mineure et de l’Arabie, qui « découlaient de fait et de miel » et qui nourrissaient jadis une population très considérable, sont devenues presque entièrement stériles, et sont habitées par de misérables tribus vivant de pillage et d’une agriculture rudimentaire. Lorsque la puissance de Rome céda sous la pression des Barbares, l’Italie et les provinces voisines, épuisées par le travail inintelligent des esclaves, étaient partiellement changées en solitudes, et de nos jours encore, après deux mille ans de jachère, de vastes espaces