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point proportionné à leur population respective. Il peut arriver que celui qui est élu président par la majorité des délégués des états réunis en collège électoral ne soit pas celui que la majorité des électeurs primaires, pris en masse, avaient eu en vue. Il peut arriver que la majorité du collège électoral ne soit formée que par des combinaisons et des compromis de parti. C’est précisément ce qui était arrivé à l’élection précédente. M. Lincoln n’avait dû son élection en 1860 qu’à une scission du parti démocrate, qu’à une coalition d’une fraction de ce parti et du parti républicain. M. Lincoln était bien le président légalement élu ; mais son bulletin, son ticket, comme on dit aux États-Unis, avait été loin de réunir la majorité des électeurs primaires. Or si un président qui a eu la majorité du collège représentant les états, sans avoir la majorité pour son ticket dans l’universalité des suffrages directs, et un président qui réunit la double majorité dû premier et du second degré occupent la suprême magistrature de la république avec la même autorité légale, la différence est grande entre eux au point de vue de l’ascendant moral et de la puissance politique. Il est impossible que le premier ne se ressente point, dans la direction du gouvernement, des influences hétérogènes qui ont concouru à sa nomination ; il est impossible que la majorité du peuple voie réellement en lui l’expression complète de sa confiance et de sa volonté. Il n’en est pas de même dans le second cas, lorsque le président est vraiment l’élu de la majorité des électeurs pris en masse. Alors plus de doute sur la direction de la volonté nationale, plus de tiraillement dans les conseils du magistrat suprême porté au pouvoir non plus par des marchandages de parti, mais par une manifestation vraiment populaire. Telle est la situation que la dernière élection fait à M. Lincoln. On a reproché à M. Lincoln, dans les premiers temps de sa présidence, des irrésolutions et des tâtonnemens qui étaient la conséquence naturelle des circonstances au milieu desquelles l’élection de 1860 s’était opérée. Aujourd’hui il n’y a plus de motif aux incertitudes de conduite. M. Lincoln n’a pas seulement une énorme majorité dans le collège électoral ; il est l’élu de la majorité des votes populaires réunis. La majorité qui l’a porté dans l’ensemble de ces votes est d’environ cinq cent mille voix. La nature des élémens qui ont formé cette majorité doit être prise en sérieuse considération. On disait avant l’élection que le principal appoint du parti républicain, rallié à M. Lincoln, serait la classe des fournisseurs qui ont trouvé de grands profits dans la guerre ; les partisans des esclavagistes représentaient le parti de M. Lincoln comme celui des agioteurs et des spéculateurs effrénés. On dépeignait aussi les états agricoles de l’ouest comme ruinés par la guerre nationale et prêts, pour y mettre un terme, à se rallier au parti démocrate. Ces appréciations, que les partisans du sud avaient répandues bruyamment en Europe, ont été démenties par l’événement de la façon la plus éclatante. C’est parmi les populations essentiellement agricoles, c’est au sein des