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Dernière Pensée de Weber ajustée en sermons de don Luiz du Festin de Pierre : « Je vois bien que je vous incommode et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue ! » Il y a au troisième acte de la Dame aux Camélias une scène fort délicate, et qui, pour être acceptée, a besoin de toutes les précautions du développement le plus habile : je veux parler de la scène où M. Duval, le père d’Armand, s’annonce lui-même chez Marguerite Gautier et vient demander à la courtisane de lui rendre bénévolement le cœur de son fils. La démarche, on en conviendra peut-être, à de quoi surprendre ; mais enfin, si insolite qu’elle soit, dans la comédie cela passe. Figurez-vous maintenant au théâtre cette même situation dépouillée de tous les artifices dont M. Dumas fils l’a si industrieusement environnée, et se présentant de front, avec tout son odieux et tout son ridicule, sans rien sauver, rien ménager, sans prendre ni son temps ni ses mesures ! Dans la comédie, la scène ne tient pas moins de dix pages ; dans l’opéra, c’est un duo, et vous savez ce que dure un duo, ce morceau fût-il, comme celui dont je parle, le plus long, le plus emphatique, le plus assommant des duos. Au bout de deux heures de ce spectacle, vous finissez par ne plus savoir où vous en êtes ; l’ennui tourne ici au vertige. Tant de vulgarités prétentieuses dans la musique, d’inepties dans la traduction, qui dépasse en excentricités grotesques les plus beaux monumens du genre, où vous entendez, par exemple, des personnages du jardin Mabille et du Château des Fleurs appeler Dieu l’Éternel, tout cela vous déconcerte, vous stupéfie. Les costumes même semblent prendre à tâche d’augmenter le trouble de vos esprits. Il fut jadis un temps à la Comédie-Française où toute pièce en cinq actes et en vers se jouait en habit brodé et l’épée au côté. L’action avait beau se passer de nos jours, la rime entraînait irrévocablement l’habit à la française. C’était ridicule, mais c’était la tradition, et il demeurait convenu que pour bien parler en alexandrins il fallait avoir des souliers à boucles et le chapeau a plumes. Qu’on procède de la sorte, si l’on veut, à l’égard de la musique, qu’on lui rende les honneurs du grand trottoir, mais épargnons-nous le ridicule de transporter au temps de la régence des pièces qui, comme la Dame aux Camélias, sont une date.

Mlle Nilsson, qui chante au Théâtre-Lyrique le rôle de Marguerite Gautier, non de Violetta, est une jeune et gracieuse débutante du pays de Jenny Lind. Elle a, comme Rachel, avant d’aborder la scène, connu les misères de la vie d’artiste. Rachel jouait de la guitare, Mlle Nilsson jouait du violon, et déjà presque en virtuose, lorsque la voix lui vint. M. Wartel la fit travailler, et cette voix est aujourd’hui un soprano très brillant, dans les cordes hautes du moins, car le médium manqué de force, et les notes basses sortent voilées : d’où je conclus que Mlle Nilsson aura débuté trop tôt. Égaliser la voix, mettre en harmonie, en parfait rapport les divers registres, grand principe dont on ne se préoccupe point assez, et qui pourtant contient tout l’art du chant ! Il semble aujourd’hui qu’on n’ait qu’à travailler le mécanisme, à pourvoir à l’agilité, à l’étendue. Un organe peut