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dans les manufactures, et il assure pour l’avenir un recrutement de bons ouvriers. Jamais il n’y eut de réforme plus simple, et il n’y en eut jamais de plus urgente.

L’idée en vint à un manufacturier anglais tout au commencement de ce siècle. Ce n’était rien moins que le premier sir Robert Peel et le père du célèbre ministre. La mesure était alors plus nécessaire qu’aujourd’hui, parce que le séjour des ateliers était véritablement délétère. Nous ne saurions trop répéter que la science et l’industrie ont rivalisé de zèle pour diminuer la fatigue des ateliers et pour assainir les fabriques. On peut se rendre compte aisément de l’importance de ces transformations en visitant successivement une ancienne et une nouvelle, usine. Métiers, procédés, salles de travail, escaliers, dégagemens de toute sorte, tout est changé et amélioré dans une proportion surprenante. Ce qui était étroit, sordide, horrible, est devenu vaste, aéré, régulier, et d’une propreté, pour ainsi dire, brûlante, car les fabricans ne sont pas moins fiers de la beauté de leurs établissemens que de celle de leurs produits. La machine de son côté, comme un serviteur empressé et complaisant, prend tous les jours une plus grande partie de la tâche commune, et ne laisse que peu de chose à faire à l’homme.

Sir Robert Peel avait donc, il y a soixante ans, plus de raisons à fournir à l’appui de sa réforme que nous n’en avons nous-mêmes. Ces raisons n’étaient peut-être pas plus sérieuses, mais elles étaient plus dramatiques et conséquemment plus puissantes. Les fabriques aujourd’hui sauvent le premier coup d’œil ; tout y paraît aisé et agréable. La fatigue ne résulte plus du travail, mais de la continuité du travail. Or, dès qu’il s’agit de la prolongation et de la continuité du travail, l’intérêt de l’ouvrier et celui du fabricant sont en désaccord complet. Plus les terrains, les bâtimens et les machines coûtent cher, et plus le fabricant désire répartir ces frais fixes sur une longue durée de travail ; il les diminue de moitié en travaillant vingt-quatre heures au lieu de douze, et réalise ainsi des bénéfices énormes. Pour l’ouvrier au contraire, on comprend que le travail, même le plus aisé, lui devienne à la longue une fatigue intolérable, et si cela est vrai pour un adulte en possession de toute sa force, cela est plus évident mille fois pour un pauvre enfant dont l’esprit et le corps ne peuvent, sans un véritable danger, se soumettre à cette longue contrainte. Seulement on ne sent cela, qu’à la condition d’y penser. Il faut réfléchir pour comprendre le malheur d’un enfant occupé dans une belle salle à rattacher des fils qui se cassent, mais occupé trop longtemps à ce travail si facile. Si au contraire l’atelier est sombre, encombré de matières