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établies entre les hommes, préparent la réconciliation des peuples » Que l’on se reporte à vingt ans en arrière : à cette époque, il ne se serait pas trouvé en France un seul ouvrier qui se fût exprimé, sur le compte de l’Angleterre et des Anglais, avec les sentimens d’estime que le simple instinct de la justice et des convenances a inspirés aux délégués, Ceux-ci, du reste, s’accordent avec les membres du jury sur l’avenir qui est réservé à l’industrie française : à très peu d’exceptions près, ils sont d’avis que nous pourrons lutter avantageusement contre les autres nations ; ils n’expriment aucun regret à l’adresse des prohibitions supprimées, et ils ne forment aucune demande qui ait pour objet l’établissement ou l’exhaussement d’un tarif de douane.

Pourquoi faut-il que ces sentimens si remarquables de modération et d’équité abandonnent les délégués dans la seconde partie de leur travail, c’est-à-dire dans celle où ils exposent la situation des populations ouvrières, leurs aspirations et leurs vœux ? Dès qu’ils abordent ce sujet, leur langage devient tout autre : on ne croirait plus entendre les mêmes hommes. Voici qu’il est question de la tyrannie du capital, du fléau de la concurrence, de l’avarice des patrons, de l’exploitation de l’homme par l’homme. On nous ramène à l’année 1848, à ses idées et à ses phrases. Est-ce là un progrès ? Certainement non. — Un étranger qui ne connaîtrait pas la France et qui lirait cette seconde partie des rapports de la délégation ouvrière devrait nécessairement se figurer que nous sommes une nation barbare, où la masse du peuple, croupissant dans les bas-fonds de la misère, est opprimée par une caste privilégiée sans cœur et sans entrailles. Il s’étonnerait qu’une société ainsi constituée puisse exister en pleine civilisation européenne. Quelle ne serait point sa stupéfaction en apprenant que la France, loin d’être une nation barbare, est au contraire l’une des plus grandes nations de la terre ! Si enfin, voulant avoir raison d’une contradiction aussi monstrueuse, cet étranger faisait comparaître devant lui, dans une sorte d’exposition universelle, les différens peuples, non-seulement avec les produits de leur travail, mais encore avec leurs mœurs, avec leurs lois, avec leurs conditions sociales, quel rang assignerait-il à la France, sinon celui que tous ses enfans réclament pour elle ? Rassuré par cette grande enquête, il demanderait sans doute quel est le sentiment, quels sont les faits qui ont pu inspirer et motiver de tels rapports.

Hâtons-nous de le dire, le sentiment qui a animé les délégués des ouvriers n’est autre que ce sentiment naturel qui porte tout homme à rechercher et à réclamer comme un droit une destinée meilleure : maladie incurable à laquelle tous tant que nous sommes, même au