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production de la vie et de ses phénomènes, celle de la pensée et de ses actes, lui est également soumis. C’est une erreur de croire qu’entre rien et quelque chose il y ait un abîme infranchissable : il n’est pas un mathématicien qui ne sache le contraire et qui ne rencontre continuellement cette loi de l’infini dans l’étude des phénomènes physiques. La nature franchit sans relâche cet abîme, et ses actions lentes parviennent à produire des effets qui nous étonnent, en vertu de la loi de l’infini à laquelle elles obéissent. J’ai vu, dans les remparts de Messène construits par Épaminondas, des pierres énormes soulevées par une racine de figuier. Ces pierres n’ont pas moins de six pieds de longueur, sur une largeur et sur une épaisseur de plus de deux pieds, et chacune d’elles pèse au moins trois mille livres. Trois assises superposées avaient été soulevées par cet arbre à plus de dix centimètres de hauteur. Voilà certes une chose qui a droit de nous étonner, puisque cette faible racine peut être brisée en quelques instans, et qu’il faudrait les forces réunies de bien des hommes pour remuer ces grands blocs de pierre. Pourtant, si l’on veut y réfléchir, tout le merveilleux disparaît. Une graine portée par le vent s’est arrêtée dans un étroit interstice ; là, elle a germé ; la petite racine a rempli l’espace qu’elle a trouvé vide. Ce fait se passait, je le suppose, il y a cent ans. Je suppose encore que la racine a grossi pendant six mois chaque année et qu’elle s’est reposée le reste du temps ; elle a donc employé à croître environ dix-huit mille jours. On sait que les physiciens estiment la valeur d’une force en la rapportant à la seconde, au kilogramme et au mètre pris pour unité. Que l’on veuille achever le calcul, on verra que la force déployée par la racine du figuier est d’une extrême petitesse, et qu’elle n’égale pas la millionième partie de celle qui est nécessaire pour élever un kilogramme à un mètre de hauteur en une seconde de temps. Seulement, comme elle est continue, et qu’elle ajoute sans interruption ses effets les uns aux autres, il arrive qu’après cent ans elle a produit un résultat dont nous sommes d’abord étonnés. La force du figuier est une force vivante : la vie physiologique agit donc de cette manière. La vie spirituelle suit la même loi. Je demande qu’on m’explique d’où vient cette forme parfaite du temple de Minerve à Athènes. Est-elle née un jour subitement de l’esprit d’Ictinus ou de Phidias ? Non, puisque ces artistes avaient sous les yeux des modèles qui égalaient presque en beauté ce qu’ils firent à leur tour, et ces modèles, dont plusieurs se voient encore, avaient été précédés par d’autres, de sorte qu’en remontant les siècles on voit les formes architecturales se rapprocher de plus en plus de leurs ébauches primitives, sans qu’il soit possible de dire à quel jour ces premières formes sont nées. On peut même affirmer qu’elles ne sont pas nées un certain jour, mais qu’elles