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la discussion, formée d’opinions individuelles se combattant et se contrôlant les unes les autres, a fait naître des formules qui pouvaient en apparence n’être l’œuvre d’aucun des docteurs, mais qui en réalité s’élaboraient par le travail personnel de chacun d’eux.

Comme on peut suivre pas à pas le développement de la métaphysique chrétienne au moyen de documens authentiques formant une série continue, j’ai choisi cet exemple pour montrer quels élémens entrent dans la formation d’un dogme. Je n’ai pas à examiner si dans telle religion, à l’exclusion de toutes les autres, les opinions individuelles des docteurs leur étaient inspirées par un esprit divin : la science ne peut aborder ces questions, qui appartiennent uniquement à la théologie, et que chaque religion peut résoudre à sa manière et dans la mesure où elles la concernent. On voit aussi plusieurs religions dont l’origine première est rapportée à un certain fondateur : tels sont, en remontant les siècles, l’islamisme fondé par Mahomet, le christianisme fondé par Jésus, le bouddhisme fondé par Çâkyamuni. Il n’y a pas de raison de contester que l’idée première de ces religions ait été apportée par eux : ce sont là des faits que la science admet et qu’elle étudie ; mais l’humanité pure et simple du Bouddha, le caractère inspiré de Mahomet, la divinité de Jésus, sont des choses absolument étrangères à la science et des questions qu’aucun principe rationnel ne peut résoudre. C’est se faire de la science la plus fausse idée que de la croire hostile à la divinité de Jésus-Christ ; elle n’a point d’armes qu’elle puisse opposer à cette doctrine ; c’est là un article de foi, et non un fait scientifiquement discutable, Pour ma part, je n’approuve pas les prédicateurs ni les écrivains qui s’efforcent de démontrer par des argumens humains la divinité du Christ : si leurs raisonnemens sont bons, la foi perd tout son mérite, car on ne peut être loué d’admettre un théorème démontré ; s’ils sont mauvais, ils compromettent la religion en ébranlant la foi dans les esprits. Ajoutez que toutes ces prétendues démonstrations de la divinité du Christ pourraient s’appliquer à d’autres personnages, par exemple au bouddha Çâkyamuni, qui cependant n’a jamais été considéré comme un dieu et n’a jamais reçu un sacrifice d’adoration (yajna), mais seulement un honneur commémoratif (pûja). Si la science était obligée de discuter avec les croyans la divinité de Jésus, il faudrait bien qu’elle discutât aussi celle de tout autre personnage divin, sous peine de n’être qu’une théologie particulière. Elle n’examine donc pas si l’un d’entre eux est appelé dieu à plus juste titre que tous les autres ; son rôle se borne à constater que chaque religion a son dieu, à exposer, selon les faits, l’idée que s’en font les fidèles de chaque croyance, et à suivre la marche de cette idée dans l’histoire.

La conception du dieu, par cela seule qu’elle est personnelle et