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ne sont que des cadres logiques où viennent se ranger tour à tour les objets à mesure qu’on les étudie. Comme la nature ne procède point au hasard et ne connaît pas les lois d’exception, il faut tout un ordre nouveau de phénomènes pour augmenter d’un seul le nombre des cadres. C’est ainsi que la végétation de l’Australie, malgré l’étendue de son territoire, n’a introduit dans la botanique "qu’un petit nombre de genres nouveaux, et n’a rien changé aux degrés supérieurs de la classification ni aux lois auparavant établies.

Il est donc possible (et ce travail est aujourd’hui fort avancé) de diviser en groupes les religions anciennes ou modernes et de présumer que le nombre de ces groupes ne s’augmentera plus. On peut ensuite réunir ces groupes en catégories plus étendues et moins nombreuses, en appliquant à cet ordre de faits les méthodes ordinaires de l’histoire naturelle et des autres sciences d’observation. Ce travail préliminaire étant terminé, on procède à l’étude pour ainsi dire physiologique des religions, et l’on remarque alors, comme dans la botanique, que les religions réunies dans un même groupe, se ressemblent entre elles par leur organisation, par leurs principes constitutifs, par leurs effets généraux, et le plus souvent. par le milieu où elles se sont développées. Ces simples observations répandent à elles seules déjà une vive lumière sur l’histoire. Enfin la comparaison, s’étendant, finit par embrasser toutes les religions connues ; dès lors il devient possible de déterminer leurs élémens essentiels, de suivre leurs développemens dans le passé, de les ramener à des formes de plus en plus anciennes et d’approcher par degrés de leur origine.

Nous sommes loin, comme on le voit, des théories religieuses à priori de nos dernières écoles philosophiques. Ces systèmes paraissent bien chancelans, lorsqu’on considère la base immense sur laquelle la science des religions se fonde aujourd’hui. En effet, la première loi générale que cette science reconnaît renverse d’un seul coup la doctrine de la religion naturelle, ainsi que les essais tentés de nos jours, et même dans l’antiquité, pour créer une religion philosophique. Cette loi, qui est confirmée par toutes les observations et qui les résume, s’énonce ainsi : toute religion renferme deux élémens, le dieu et le rite ; toute école qui ne reconnaît pas formellement la réalité d’un dieu est hors d’état de fonder une religion ; toute tentative de fonder une religion sans rite, c’est-à-dire sans culte, est illusoire et impossible. Il existe aujourd’hui une grande religion, qui n’a guère moins d’adhérens que le christianisme et qui semble être sans dieu : c’est le bouddhisme ; mais ceux qui prennent le bouddhisme pour une école athée ou pour une philosophie matérialiste oublient que le panthéisme est le fond de cette religion comme de celle des brahmanes ; ni dans l’une ni dans l’autre