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de l’échiquier ne se bornait point à faire part à un cercle d’amis de ces productions élégantes. En faisant allusion à ces distractions poétiques ou littéraires des hommes d’état de l’Angleterre, comment pourrait-on passer sous silence les honneurs que ces hommes viennent de rendre à un des plus illustres et des plus aimés de nos compatriotes, à M. Berryer, présenté au barreau anglais par lord Brougham ? Un pareil hommage rendu au plus éloquent de nos avocats est un de ces événemens heureux où se révèlent les grandes qualités par lesquelles, quoi qu’on en dise, la France et l’Angleterre sont dignes de se comprendre et de s’unir. C’est dans le vieux hall de Middle-Temple, dans la salle antique où ont été jouées les pièces de Shakspeare, que les avocats et les principaux magistrats de l’Angleterre ont reçu et fêté M. Berryer. En lisant le récit de ce banquet mémorable et les discours qui y ont été prononcés, un regret que nous exprimions ici récemment revenait à notre pensée. En Angleterre, la grande magistrature sort du barreau ; elle en est le couronnement naturel : de là cette confraternité persistante entre les lords-justices, les barons, le chancelier et les avocats, dont on retrouve souvent dans les procès anglais de nobles et touchans témoignages. Chez nous, en dépit de leurs affinités naturelles, la magistrature et le barreau sont deux carrières distinctes. Quel digne chef de la magistrature française, quel chancelier eût été M. Berryer ! Ce regret rêveur ne devait point être déplacé l’autre soir dans le hall de Middle-Temple ou au banquet du lord-maire, lorsque lord Palmerston, avec une délicatesse et une justesse de touche vraiment admirables, traçait un portrait si vrai du caractère politique de M. Berryer ; mais en ce moment c’étaient d’autres regrets qui agitaient l’âme de notre grand orateur : il ne pensait qu’à son pays, et l’émotion entrecoupait sa voix vibrante lorsqu’il voyait et décrivait en si beaux termes les nobles fruits que la liberté, chez nous encore si peu féconde, a produits en Angleterre. Enfin, parmi les associations d’idées auxquelles donnaient lieu ces scènes imposantes, comment omettre la pensée de l’âge des hôtes principaux de ces fêtes ? L’infatigable Brougham, le vif Palmerston, sont des octogénaires ; M. Berryer lui-même n’est séparé d’eux que de peu d’années. Qui n’admirerait le miracle de ces vertes vieillesses ? Toute la jeunesse de notre siècle s’est-elle donc réfugiée dans l’âme de ces magnifiques vieillards ? Serait-ce donc que la politique et l’éloquence réservent à leurs favoris le don de Jouvence ?

Un des sujets les plus familiers à l’éloquence de nos orateurs chrétiens est l’art mystérieux avec lequel la puissance divine sait faire sortir le bien du mal. La guerre civile d’Amérique semble nous préparer une surprise de ce genre. De l’acharnement de la lutte semble devoir sortir l’abolition prochaine de l’esclavage. Les hommes du sud avaient brisé l’union, non pas seulement par la crainte que l’abolition de l’esclavage ne leur fût imposée, mais pour se soustraire à la volonté de la majorité, qui entendait empêcher l’extension de l’esclavage dans les nouveaux territoires. Les sécessionistes,