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la même action, brûle le vinaigre et en fait de l’acide carbonique et de l’eau. C’est un vibrion qui fait cailler le lait et donne le fromage ; ce sont des animaux du même ordre qui décomposent à la longue par fermentation presque toutes les substances animales ou végétales, et comme le nombre de ces petits êtres est innombrable, le petit travail de chacun se multiplie à l’infini, et l’action définitive de ce monde invisible est un des grands ressorts du monde : il mérite qu’on le suive.

Nous lui devons nos boissons fermentées, l’eau-de-vie, le rhum, le kirsch, le genièvre et tous leurs analogues. Nous lui devons l’alcool, qui est aujourd’hui la base de tant d’industries diverses. Nous lui devons encore le vinaigre, le fromage, le levain et par suite le pain, sans compter un grand nombre de substances moins connues. Chaque vase où une colonie de ces êtres s’établit est une fabrique de produits chimiques, une ruche qui travaille pour l’homme, et dont l’homme surveille et dirige l’industrie collective sans la comprendre. Ce rôle ne s’arrête pas là ; le monde invisible préside à toutes les décompositions. Nous venons de voir comment il transforme par des étapes successives le sucre en alcool, l’alcool en vinaigre, enfin le vinaigre en eau et en acide carbonique. Ce qu’il fait pour le sucre. Il le répète pour toutes les matières organiques. Après la mort, le cadavre de tout animal est livré aux mucédinées qui peuplent sa surface et à des infusoires spéciaux qui vivent sans avoir besoin d’oxygène et se développent à l’intérieur. Ils s’attaquent au sang, à la chair, à tous les liquides de l’économie, à tous les organes. Quand l’œuvre d’une espèce est accomplie, une autre lui succède ; la décomposition se continue, et finalement la matière qui avait formé le corps pendant la vie se transforme en eau, en acide carbonique, en ammoniaque ; elle est rendue tout entière à la nature minérale : la vie a complété la mort. Si ce monde invisible n’existait pas, les matières animales ou végétales ne se décomposeraient que lentement, et la terre porterait à sa surface, pendant de longues périodes d’années, les restes indécomposés de toutes les générations qui l’ont peuplée. Cette mission des êtres invisibles est bienfaisante et nécessaire. Quelquefois cependant elle se tourne contre le monde apparent : des mucédinées envahissent le raisin, le blé, la pomme de terre, et alors surviennent les grandes calamités publiques ; quelquefois aussi elles s’attaquent aux animaux, comme la muscardine aux vers à soie, et probablement aussi quelques espèces frappent l’homme de ces maladies terribles et contagieuses qui dévastent le monde sous le nom de choléra ou de peste. L’attention des savans est dirigée dans cette voie, et l’on peut espérer, par un travail dont il me reste à parler, qu’elle ne s’y portera pas en vain.

Le docteur Davaine consacre depuis quelques années tous ses