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mémoire qui a précédé le sénatus-consulte du 23 décembre 1861, à propos d’une situation qui n’a fait que s’aggraver depuis : « Ce serait se faire d’étranges illusions que de compter indéfiniment sur le développement du crédit national. » On n’a déjà que trop fait usage du crédit : ce qui le prouve, c’est le taux de la rente, qui, en pleine paix et avec l’accroissement de richesse dont j’ai parlé, est à 65, à des cours qu’on n’avait pas vus depuis longtemps. Je sais bien tout ce qu’on peut dire pour expliquer l’infériorité du cours de la rente : on peut dire qu’elle n’est pas seule à faire appel au crédit sur le marché, que 3 ou 400 millions d’obligations de chemins de fer garanties par l’état s’y placent concurremment avec elle chaque année, que de plus on voit à tout instant se produire de nouvelles compagnies financières ou industrielles, étrangères ou françaises, qui offrent des conditions plus ou moins, brillantes aux capitaux disponibles, sans compter les emprunts incessans des états obérés et les emplois de toute nature qui ont lieu dans l’industrie et le commerce. Que tout cela fasse à la rente une concurrence très redoutable, je ne le conteste pas. Je maintiens pourtant que, sans l’usage trop fréquent qu’on a fait du crédit pour la rente française elle-même depuis quelques années, et dernièrement encore jusqu’à concurrence de 315 millions, elle serait à un cours supérieur à 65. La rente a une notoriété qu’aucune autre valeur ne possède au même degré ; elle s’est démocratisée grâce aux souscriptions publiques, et trouve aujourd’hui accès jusque dans les plus petites bourses ; elle est de plus le placement obligatoire des établissemens publics, des fonds dotaux et autres ; sa situation reste privilégiée malgré les concurrences, et si elle n’est pas au-delà de 65, c’est qu’en voyant les déficits s’accumuler d’année en année, sans autre moyen de les couvrir que l’emprunt, on se sent perpétuellement sous le coup d’une nouvelle émission de rentes, surtout au milieu des appréhensions de guerre qui pèsent constamment sur l’Europe, et alors la rente suit la loi économique de toute marchandise qui est très offerte : elle baisse de prix.

On raconte qu’un homme d’état d’aujourd’hui aurait dit dernièrement : « Qu’on nous assure la paix et qu’on retire le décret du 24 novembre, et je garantis que la rente sera avant peu à 80 francs. » Si ce mot singulier a été dit, il accuse une connaissance bien insuffisante, bien peu sûre, de la situation réelle du pays. Le retour au pouvoir absolu pur et simple, tel qu’il était avant le décret du 24 novembre, est incompatible avec la paix, et si par exception, pendant un court espace de temps, on avait cette paix, c’est-à-dire si l’Europe n’était matériellement pas troublée, on aurait, comme aujourd’hui, beaucoup plus qu’aujourd’hui, l’inquiétude qu’elle le fût, et ce serait la même chose pour les affaires et pour le crédit.