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encore jeunes et d’une remarquable beauté : elles portaient l’habit de religieuses professes, ayant prononcé tous les vœux, sauf celui de clôture, ce qui permet aux professes de rester dans leurs familles. Sur le devant de leurs robes de mérinos blanc descendait une large bande de taffetas noir formant une croix sur la poitrine. Une guimpe de batiste plissée entourait l’ovale parfait de leurs visages, et un long voile de mousseline blanche recouvert de crêpe noir encadrant leur front descendait jusqu’à l’ourlet de leurs robes longues et traînantes. Ce costume sévère, mais non dénué de grâce et de poésie, donnait à la beauté encore splendide des deux sœurs un charme de plus.

L’étranger fut accueilli comme sir Henri l’avait été jadis. Don Estevan lui faisait mille questions sur son ami d’autrefois, et souriait en pensant qu’il n’avait pas oublié Santa-Rosa et ses habitans. Au désert, les habitudes ne changent guère. L’officier de marine retrouva les choses exactement comme sir Henri les lui avait dépeintes : les fleurs, les oiseaux, les broderies, le jardin, Eusebia de dix ans plus vieille, il est vrai, et ressemblant assez à une momie ambulante, mais encore pleine d’activité et d’initiative ; les gazelles seules manquaient, et l’officier en allait demander des nouvelles lorsque, passant devant la chapelle dont la porte était ouverte, il y entra, et vit déposé sur la première marche de l’autel un petit collier de cuir tressé garni de rosettes d’argent ciselé. Ce souvenir, que Mercedes avait déposé dans un asile inviolable comme la fidélité de son affection, lui rappela ce que sir Henri lui avait raconté, et il se tut, sachant que, dans la vie des femmes surtout, les souvenirs qui les occupent le plus sont ceux dont elles parlent le moins, et dont il ne faut jamais leur parler. Néanmoins il ne pouvait s’empêcher de déplorer la vie solitaire des deux sœurs, et un jour qu’il y faisait allusion devant elles, Mercedes répondit simplement : — J’ai eu très jeune une cruelle épreuve à supporter ; j’ai bien souffert, je souffre encore. Je suis heureuse néanmoins de nourrir ma douleur dans l’isolement. Le ciel m’a fait cette destinée : pourquoi aurais-je une autre volonté que celle de Dieu ?


Mme LINA BECK.