Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il remonta à cheval, et sir Henri l’aperçut, rapide comme le vent, faisant tournoyer le lasso au-dessus de sa tête, et le lançant avec l’adresse qui caractérise les gauchos. Il ramena bientôt deux des meilleurs chevaux.

L’odeur du mouton rôti tira le petit garçon de sa léthargie entrecoupée de gambades taciturnes. Il se leva et vint s’asseoir près du brasier. — Ah ! ah ! dit Pastor, quand il s’agit de manger, le muchacho prend des jambes ! Caramba ! si tu veux du mouton, je veux de l’eau, moi ; va vite en chercher.

L’enfant prit une amphore de terre rouge posée dans un coin près de la porte, se drapa dans son poncho en guenilles avec une dignité toute castillane et s’achemina vers un arroyo dont les eaux bleues miroitaient dans le campo à quelque distance. Il revint bientôt, portant le cantaro sur l’épaule avec la grâce d’une statuette antique. On s’assit par terre pour manger. Sir Henri tira de sa poche un étui en vermeil qui contenait fourchette et couteau ; mais il eut quelque honte d’avoir montré ces ustensiles lorsqu’il vit Quiroga et le petit garçon détacher du mouton rôti des tranches très longues et très minces, en prendre l’extrémité entre leurs dents incomparables et couper à mesure avec le couteau le morceau qu’ils voulaient manger. Le mouton fut dévoré en un clin d’œil avec une dextérité et une propreté parfaites, et l’on se remit en route.

Le désert devenait de plus en plus sauvage. De grandes autruches grises couraient çà et là. Des troupeaux de daims et de biches cheminaient au petit pas, ou fuyaient rapides comme le vent en faisant onduler les hautes herbes. Au bord des lagunes et des arroyos, des sarcelles, des poules d’eau, des ibis, de gracieux cygnes blancs au collier noir, se promenaient gravement ou se baignaient dans les eaux tranquilles. Un peu avant le coucher du soleil, on arriva au bord du Calcaraña, large et profonde rivière. Les péons d’une estancia voisine étaient occupés à la faire passer à quatre ou cinq mille bœufs. C’était un aspect étrange que celui de cette multitude d’animaux de toute nuance que ces bergers à cheval tâchaient de pousser vers le gué ou paso. Lorsqu’un groupe de bœufs et de génisses était arrivé sur l’extrême bord, les picadores armés de leurs lances les aiguillonnaient pour les forcer à entrer dans la rivière, et les récalcitrans donnaient à leurs conducteurs l’occasion de développer une adresse et une élégance de poses vraiment merveilleuses. Tantôt, s’éloignant de quelques centaines de pas, les picadores, la lance en arrêt, venaient fondre sur les bœufs pour les contraindre à prendre leur course du côté du fleuve ; tantôt, poursuivant quelque fuyard qui disparaissait dans les pampas, ils l’obligeaient par une série de voltes exécutées avec une prestesse inouïe à reprendre la direction du Calcaraña. Dans la rivière même,