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pour don Estevan Gonzalès de Santa-Rosa, dont il avait entendu vanter l’hospitalité) et qui passait poux, un des plus riches estancieros du pays.


II

L’estancia de Santa-Rosa, qui avait pour seigneur et maître don Estevan Gonzalès, passait, et avec raison, pour l’une des plus belles du campo. Construite au temps des vice-rois, elle se distinguait par sa solidité et ses vastes proportions. Le principal corps de logis était de ce style oriental que les Andalous, ont emprunté aux Maures, et qu’ils ont transporté, sans aucune altération, dans la province de Santa-Fé. Les chambres de la maison étaient disposées autour d’une cour carrée ou patio dont le centre était occupé par une citerne surmontée d’un puits qu’ornait ne ; arcade mauresque en fer ouvragé. Une magnifique véranda garnie de vigne donnait une ombre fraîche et délicieuse au large trottoir sur lequel s’ouvraient les portes des appartemens principaux. Dans chaque angle du patio se dressait une énorme amphore en terre rouge, appelée tinacone, et destinée à rafraîchir l’eau pendant les chaleurs de l’été. Après cette première cour, il en venait une seconde, puis une troisième. Des groupes d’orangers et de palmiers, entremêlés de citronniers et de lauriers-roses, en occupaient le milieu et les côtés. Au fond, dans un coin, se trouvaient les dépendances de la maison, cuisine, chambres de domestique, etc, L’estancia de Santa-Rosa étant isolée, on l’avait bâtie de manière à pouvoir résister à une attaque. Ses très rares fenêtres à l’extérieur étaient garnies de solides barreaux de fer. Les murs des cours, très élevés, épais, construits en pisé, avaient un revêtement de briques. Au-dessus de la porte d’entrée, une chambre unique, nommée altillo, ayant la forme d’un cube en maçonnerie, offrait un mirador ou balcon, d’où le regard s’étendait fort loin. Le toit plat de l’altillo formait terrasse. En temps de troubles, on y établissait un canon : ce n’était, à vrai dire, qu’un vieux tuyau de poêle monté entre deux roues de charrette ; mais cette inoffensive machine avait de loin un aspect formidable, et son profil menaçant, qui se détachait sur l’azur inaltérable du ciel, avait écarté plus d’une fois les maraudeurs peu curieux de la mitraille. Don Estevan se piquait, du reste, d’être un homme à précautions. Il étalait avec orgueil dans sa chambre quelques antiques carabines espagnoles, à crosses d’ébène incrustées d’argent, que ses ancêtres avaient apportées d’Andalousie ; c’étaient, il est vrai, de lourds et incommodes engins, tout au plus propres à la parade. Les péons, qui les contemplaient avec la répugnance