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flammes. Le bruit du vent, le roulement incessant du tonnerre, le clapotement sourd des vagues, formaient une de ces harmonies sauvages et grandioses comme la nature seule en sait composer. De temps à autre, l’on distinguait entre les vagues et le ciel quelques points blancs balancés, soulevés, tour à tour cachés et visibles : c’étaient de petites embarcations qui, surprises par l’orage, tentaient, comme de pauvres oiseaux effarouchés, de regagner le port ou de se réfugier dans quelque anse entre les îles. Le capitaine Peretti les montra du doigt à sir Henri. — Par un temps comme celui-ci, dit-il, et avec un vent de sud-ouest, le voisinage de la côte est dangereux ; mieux vaut rester au large. Nous avons trois bonnes ancres, et quoique nous chassions un peu, je ne crois pas que nous courions le moindre danger.

Tout à coup le vent s’apaisa pour quelques secondes. Les vagues bouillonnaient sans s’élever, frémissant sous une pression invisible ; un éclair aussi large que le fleuve enveloppa toute la scène d’une lumière bleuâtre, des craquemens épouvantables se firent entendre, et la foudre, pareille à des cascades de feu précipitées de la voûte du ciel, tomba sur cinq ou six points à la fois. Presque au même instant un vent très fort balaya les nuages et les emporta au loin avec une sorte de furie ; l’azur du firmament reparut pur et brillant, et, sans qu’il y eût d’arc-en-ciel, l’horizon, les îles, la goélette, apparurent comme baignés dans les couleurs du prisme. Ce magique changement à vue, phénomène qui n’est point rare dans ces parages, émerveilla sir Henri.

Une heure après, la Joven-Baldomera levait l’ancre, et, toutes voiles dehors, glissait gracieusement sur les flots apaisés. À la nuit, le vent tomba, et l’on s’arrêta près d’une île, à l’embouchure du Parana de la Palma. La lune se leva sereine, transformant l’immense fleuve en un miroir argenté, où les splendeurs du firmament se reflétaient avec un doux éclat. Les hommes de l’équipage, enveloppés dans leurs manteaux, dormaient sur le pont du navire. Sir Henri descendit dans le canot, accompagné du capitaine don Gaëtano. Ils se mirent à côtoyer les bords charmans d’une petite rivière qui traversait l’île. Le silence était solennel : on n’entendait au loin que le bruit cadencé des avirons qui entr’ouvraient la nappe d’eau lumineuse et limpide. Sir Henri, passionné pour les fleurs, en vit de magnifiques, et, faisant approcher le canot de la terre, il s’apprêtait à recueillir une ample moisson. — Avez-vous votre revolver ? lui demanda Gaëtano.

— Oui, mais pourquoi cette question ? craignez-vous les pirates de rivière ? dit en souriant sir Henri.

— Non pas, mais les jaguars. La nuit, et surtout par des temps clairs comme celui-ci, ils guettent dans les fourrés les grandes dorades