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de tes voisines, comme si tu allais défaillir. Oui, j’en connais bon nombre qui se composent un visage pour faire croire aux hommes qu’elles jeûnent. Aperçoivent-elles quelqu’un, elles gémissent, elles baissent la vue, elles se cachent la face, découvrant à peine un œil pour se conduire. Une robe d’un brun sale, une ceinture de cuir, des mains et des pieds malpropres, voilà leur affiche ; mais l’estomac, qu’on ne voit pas, est gorgé de viandes. À ces femmes hypocrites nous chanterons avec le prophète : « Dieu dispersera les ossemens de ceux qui mettent leur profit dans le mensonge. » Il y en a au contraire qui renient leur sexe, et, rougissant de ce qu’elles sont nées femmes, s’habillent comme des hommes, se coupent les cheveux comme des hommes, et, marchant effrontément, étalent à tout venant leurs faces d’eunuques. D’autres enfin se revêtent, en petites filles, d’étoffes de poil de chèvre et de grossiers cuculles : innocentes personnes qui, désirant peut-être revenir vers l’enfance, ne font que rivaliser de grâce avec les hibous et les chouettes. »


À ces esquisses prises sur des femmes attachées aux églises comme diaconesses, veuves ou vierges, il en ajoute qu’il prend parmi les femmes du monde. Il nous peint la femme savante qui récite ou chante des vers à tout propos, la prétentieuse qui mange la moitié des syllabes pour se donner un air enfantin, la charitable orgueilleuse et violente, qui distribue elle-même ses aumônes à la porte des églises, en tête d’une armée d’eunuques, et frappe au visage une pauvresse qui lui a tendu deux fois la main. Ces calques sont évidemment saisis sur le vif, et on devait sans peine y pouvoir attacher des noms.

Jérôme passe ensuite à la critique des hommes, « de peur qu’on ne l’accuse de ne s’occuper que des femmes. » Et d’abord il s’adresse aux moines hypocrites et débauchés.

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« O Eustochium, s’écrie-t-il, fuis comme un fléau ceux que tu verras porter une chaîne de fer, une longue crinière de femme, malgré la défense de l’apôtre, un mauvais manteau noir, et marcher pieds nus par toute saison. Cet attirail-là est celui du diable ! C’est sous cette livrée que naguère Antimus et Sophronius ont fait gémir Rome par leurs scandales. Les hommes de cette espèce se glissent dans les maisons des nobles, abusent les femmes chargées de péchés, et n’ont nul souci du bien et de la vérité, qui ne sont pour eux que de vains mots. Ces faux moines sont tristes et moroses, en apparence du moins ; mais si leurs jeûnes sont rigoureux pendant le jour, ils s’en dédommagent pendant la nuit, et mangent à s’étouffer du soir jusqu’au matin, afin de mieux jeûner ensuite.

« Je dois le dire, quelque rougeur qui me monte au front, il y a des gens qui n’aspirent au diaconat et à la prêtrise que pour être admis librement près des femmes. Chez ces prêtres et ces diacres-là, la grande sollicitude est d’avoir des vêtemens bien parfumés, un pied bien contenu qui ne danse pas dans le soulier, une chevelure bouclée avec le fer, des doigts étincelans