Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent même un seul lit, : et si nous y trouvons à redire, on nous accuse d’être soupçonneux. Le frère ecclésiastique se sépare de sa sœur, qui fait, vœu de virginité ; la sœur vierge dédaigne son frère, qui vit dans le célibat, et cherche ailleurs un autre frère. Ils jouent ce jeu sciemment, et, feignant de suivre la même vocation, ils vont demander à des étrangers ce qu’ils appellent : « les consolations spirituelles. » C’est de ces gens-là que Salomon a dit avec mépris : « Un homme attachera-t-il sur son sein un tison enflammé sans consumer ses vêtement Marchera-t-il sur des charbons ardens sans que la plante de ses pieds en soit brûlée ?… »

.................

« Je ne veux pas non plus pour toi, chère Eustochium, trop de fréquentations avec les matrones ; je ne veux pas que tu visites trop assidûment les maisons des nobles ; je ne veux pas enfin que tu voies trop souvent ce que tu as méprisé, quand tu as choisi d’être vierge. Laisse-là ces femmes de hauts fonctionnaires, qui ne cherchent que des courtisans de leur dignité. L’épouse de l’empereur voit s’humilier à ses pieds toutes les ambitions de ce monde : toi, sache garder aussi la dignité de ton époux, qui n’est pas un homme, mais un Dieu. Cet orgueil honorable, conserve-le, toi qui as renoncé à l’autre. — Laisse donc de côté ces matrones qu’enfle l’autorité de leurs maris, qu’entourent des troupes d’eunuques, et qui ne se montrent que sous des vêtemens tissus d’or ; mais fuis avec plus de soin encore celles qui restent veuves plutôt par goût du monde que par inclination pieuse. L’habit chez elles est changé, non la vanité et le luxe. À les voir étendues dans une riche litière, escortées d’eunuques et de valets, le teint rosé, la joue lisse et rebondie, on ne soupçonnerait pas qu’elles ont perdu, on dirait qu’elles cherchent un mari. Leurs maisons regorgent de flatteurs, leur table est un gala perpétuel. Les clercs eux-mêmes, qui devraient les instruire et leur imposer par la dignité du caractère, sont les premiers à leur faire la cour ; ils les baisent au visage, et quand ils étendent la main vers elles, ce n’est pas pour leur donner la bénédiction, mais pour recevoir le salaire de leurs honteuses complaisances. Fières de voir des prêtres s’abaisser ainsi devant elles, ces femmes se gonflent d’orgueil, et parce que la liberté du veuvage leur convient mieux que l’obéissance sous un mari, on les appelle chastes et nonnes[1] ; puis après des dîners, qui ne leur laissent pas toujours leur raison, elles s’imaginent voir apparaître en songe les apôtres…

.....................

« Évite, chère Eustochium, l’orgueil de l’humilité. Ayant renoncé à plaire en vêtemens dorés, ne cherche pas à le faire en haillons ; n’imite pas certaines femmes qui, dans l’assemblée des frères et des sœurs, choisissent avec affectation l’escabeau le plus bas comme le plus convenable à leur indignité. Ne parle pas d’un ton de voix faible et languissant pour donner à entendre que les jeûnes t’ont exténuée, et ne t’appuie pas sur les épaules

  1. « Castæ vocantur et iioanæ » Hieronym., epist. 18. Le mot nonna, qui signifie mère, était dès lors employé comme terme de respect pour les femmes ; il était le corrélatif de papa, titre donné aux prêtres d’un rang supérieur et qui est devenu en Occident le titre exclusif du pontife romain.