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d’esprit assurément, car qu’importerait que le corps fût pur, si le cœur était souillé ?

Il développait ainsi cette doctrine :


« Oui, celle qui est mariée pense aux choses du monde, elle veut plaire à son mari ; celle qui ne l’est pas veut plaire à Dieu. Croit-on en vérité que ce soit la même chose pour une chrétienne de dompter son corps par le jeûne, de s’humilier jour et nuit dans la prière aux pieds de Dieu, ou de se fabriquer un visage en attendant un homme, de s’étudier à une démarche molle, à des attitudes voluptueuses, d’affecter des airs caressans ? La première fait tout pour paraître moins belle et voiler des grâces qu’elle méprise, voilà son fard ; la seconde se fait peindre devant un miroir, et au mépris de son créateur elle veut être plus belle que Dieu ne l’a voulu. Telles sont les conséquences du mariage. Puis ce sont des enfans qui crient, une famille qui tapage, des marmots qui vous barbouillent de baisers et se pendent à votre cou, au risque de vous étrangler.

« Ce sont aussi des dépenses sans fin. On passe son temps à faire des comptes, et il faut avoir la bourse toujours ouverte. Je vois ici la troupe des cuisiniers qui, le vêtement retroussé comme des soldats en campagne, hachent et pétrissent les viandes ; là-bas, c’est le camp des fileuses où l’on babille, à vous assourdir les oreilles. Tout à coup on annonce l’arrivée de l’époux suivi de ses amis. La femme alors parcourt, comme une hirondelle, tous les recoins de la maison ; elle examine si le lit est bien fait, si le pavé est proprement balayé, si les coupes du festin sont ornées de fleurs, si le dîner s’apprête… Répondez-moi, je vous prie, qu’y a-t-il dans tout cela qui soit une pensée à Dieu ? Et ces maisons-là seraient heureuses ! Non, non ! la crainte de Dieu est absente là où le tambour bat, où la flûte siffle, où la lyre fredonne, où la cymbale éclate. Le parasite met sa gloire à braver l’honnêteté pour divertir celui qui le convie. Les victimes publiques de la débauche ont aussi leur place dans les festins : elles y apparaissent presque nues, sous des vêtemens. qui n’en sont pas, et s’étalent honteusement à des regards impudiques. Quel parti prendra la malheureuse épouse au milieu de ces orgies ? Elle n’en a que deux à choisir : se complaire dans une pareille vie et y périr, ou bien s’en offenser et mettre la discorde dans son ménage. Après la guerre intestine viendra le divorce. Et s’il existe une maison exempte de ces désordres (oiseau bien rare en vérité), restent toujours les soucis d’une administration domestique, l’éducation des enfans, les relations du mari, la correction des esclaves… Oh ! quel bon moyen de penser aux choses de Dieu ! »


Jérôme ajoutait ces paroles : « Les nécessités de l’ancienne loi ont passé, et d’autres temps sont venus, dont l’Écriture a pu dire : « Malheur à celles qui enfanteront et allaiteront dans ce jour-là ! » Ainsi le veut la succession des choses. La forêt croît pour être coupée, le champ est semé pour qu’on le moissonne ; le monde est plein, et la terre ne nous contient plus. Chaque jour, la guerre nous décime, les maladies nous enlèvent par milliers, les naufrages nous