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dévotion et l’amour, chez l’autre elle s’éparpillait au dehors en vaines agitations et en plaisirs. Veuve après sept mois d’un mariage qui n’avait pas été sans soucis et ayant à peine vingt ans, Blésille rejetait avec obstination toute idée de se remarier, au moins pour le moment. Ce n’était pas, comme chez sa sœur, désir de retraite et goût des pratiques ascétiques, bien au contraire : elle voulait vivre pour elle-même et oublier son mariage plutôt que pleurer son mari. Le temps qui s’écoulait entre une première et une seconde union était pour les jeunes veuves romaines une époque pleine de dangers qu’elles ne traversaient que sous les traits de la médisance et de l’envie, mais qu’elles ne cherchaient point à abréger. Elles jouissaient du veuvage, c’est le mot d’un contemporain. Aussi l’état de veuve mondaine était-il un objet d’observations et de critiques de la part des moralistes, surtout des moralistes chrétiens. Ils y distinguaient quatre périodes qui avaient chacune son cachet particulier. La première était celle du deuil. Dès que le défunt était clos et scellé au fond du monument, la veuve, selon eux, courait à son miroir pour étudier quels fards et quelle nature de pierreries convenaient le mieux à la douleur. Peu à peu les teintes foncées disparaissaient ; la soie venait, les tresses d’or, les perles : c’était la seconde période ; mais le désespoir reparaissait par intervalle sous des formes tellement affectées, qu’on pouvait lire la joie à travers les larmes. La troisième période était celle des plaisirs bruyans, que rien ne déguisait plus ; la quatrième, celle des secondes noces. Décidée à prendre un nouveau mari, la veuve ne le prenait pas pour obéir comme la première fois, mais pour commander : l’indépendance lui était devenue chère ; ce qu’elle voulait, ce n’était plus un maître, mais un sujet. Aussi la voyait-on souvent choisir un homme sans fortune pour le dominer plus complètement, lui imposer tous ses caprices, lui mettre un bandeau sur les yeux quand il lui plaisait, sauf à le chasser de chez elle, comme un esclave, s’il osait non se révolter contre ses déréglemens, mais ouvrir seulement la bouche pour se plaindre. — Jérôme, à qui nous devons cette peinture, a soin de nous rassurer sur le compte de Blésille : elle était légère, ardente au plaisir, amoureuse de la toilette, elle vivait devant son miroir ; mais sa conduite n’avait jamais donné lieu à aucun scandale, c’est le rigide censeur qui l’affirme.

Au plus fort de ces dissipations, on vit sa santé s’altérer, une fièvre qu’aucun remède ne put dompter la consumait sans relâche comme un feu intérieur. Au bout d’un mois, ses forces étaient épuisées, et les médecins pronostiquaient sa fin prochaine. Il se passa alors une chose que son biographe laisse enveloppée d’une incertitude mystérieuse ; il paraît néanmoins qu’une nuit, pendant