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dans sa retraite, il avait appris à fond quatre langues, l’hébreu, le syriaque, l’égyptien et le grec, et il parlait passablement le latin, ce qui l’avait fait surnommer Pentaglôttos, c’est-à-dire le docteur aux cinq langues.

La simple étude des idiomes n’était pourtant pas son objet ; il en avait un plus élevé, celui de rechercher dans tous les pays de l’Orient les altérations qu’avait pu subir le christianisme ou même le judaïsme. Par les voyages et par les livres, il avait appris à connaître toutes les hérésies ; il savait en discerner l’origine et les dérivations ; il les classait, il les suivait dans leurs moindres rameaux, comme des stemmes généalogiques. Il y avait peu d’hérésiarques contemporains avec lesquels il n’eût disputé, peu de sectes clandestines dont il n’eût sondé le mystère et dévoilé les pratiques ; mais à ce métier il avait couru plus d’un danger, lui-même nous l’avoue. Tombé un jour, et lorsqu’il était fort jeune, au milieu d’une secte gnostique qui professait une égale horreur de la continence et du mariage, il eut peine à se sauver des mains des femmes qui avaient entrepris sa conversion. Les travaux d’Épiphane lui méritèrent dans les églises orientales les titres de nouvel apôtre et de nouveau Jean, héraut du Seigneur, et, pour se rendre digne de ces grands titres, lui-même se constitua la sentinelle vigilante, infatigable, de l’enseignement chrétien, depuis les bornes du Pont-Euxin jusqu’à celles de la Libye.

Avec tant de science, l’évêque de Salamine avait la simplicité d’un enfant : il se laissait aisément tromper, et plus aisément encore il était la dupe de ses propres rêves. Habitué à subtiliser, à distinguer, à chercher une intention sous chaque mot, il avait fini par voir des hérésies partout. Ses contemporains lui reprochèrent d’avoir créé plus d’une fois par ses illusions, comme un chasseur en défaut qui suit un gibier imaginaire, des erreurs qui prenaient corps par sa réfutation même, et qu’il fallait combattre ensuite sérieusement. En dehors de ces excès de zèle théologique, Épiphane était bon, charitable, honnête, mais d’une humeur facile à irriter. On le respectait dans tout l’Orient, et on lui pardonnait ses défauts en considération de sa parfaite bonne foi. Il avait publié, quand il vint en Occident, la plupart de ses livres, et le plus important de tous, assez bizarrement intitulé Panarium, c’est-à-dire le coffret aux médicamens, ouvrage immense, mais d’un savoir indigeste, dans lequel l’auteur n’avait pas décrit moins de cent hérésies, dont vingt antérieures à l’avènement du Christ et quatre-vingts postérieures à l’Évangile.

En face d’un pareil athlète, assisté de Jérôme au besoin, les apollinaristes n’eurent pas beau jeu. Poussés de retraite en retraite, ils