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son aile ; il avait reçu de lui ou près de lui la première connaissance des lettres, en même temps que les premiers degrés du sacerdoce : l’église de Saint-Laurent avait été sa patrie et son berceau. À l’époque où il n’était encore que diacre, Rome se trouva partagée entre deux évêques catholiques, le pape Libère, que l’empereur arien Constance avait relégué en Syrie, et Félix, qu’il fit instituer à sa place. Damase, après avoir accompagné l’évêque exilé pendant une partie de la route, revint à Rome, où il soutint d’abord fidèlement sa cause ; mais il finit par se rallier à Félix avec la majeure partie du clergé, quand on désespéra de revoir jamais Libère, qui était vieux et infirme. De telles variations au reste n’étaient pas rares en ces temps de troubles ecclésiastiques toutes les fois que la hiérarchie seule y était intéressée, et non le dogme.

Élevé à la prêtrise, Damase prit rang parmi les membres les plus importans de l’église romaine. On vantait son instruction dans les sciences sacrées et même profanes, ce qui s’appelait confisquer les vases de l’Égypte au profit du temple de Dieu ; il écrivait des lettres estimées dans ce style un peu subtil et prétentieux mis à la mode par Symmaque ; enfin il était poète. Son caractère affable et bienveillant le faisait rechercher du monde, non moins que la distinction de son esprit, et ses liaisons avec quelques matrones donnèrent lieu à des bruits médisans qu’il démentit avec indignation. Ces bruits semblaient étouffés depuis longtemps, lorsqu’en 366, et quand il était déjà dans sa soixante-deuxième année, le siège de saint Pierre devint vacant par la disparition de Félix et la mort de Libère : Damase se présenta pour l’occuper.

Il avait pour lui la saine partie du clergé, qui n’était pas précisément, alors comme toujours, la plus active et la plus habile. Une faction de diacres ambitieux, grossie de quelques prêtres jaloux, lui opposa un des leurs nommé Ursicinus ou plutôt Ursinus : c’était en quelque sorte le parti des diacres contre les prêtres ; c’était aussi le parti des purs) attendu que beaucoup d’entre eux, ayant refusé de se rallier à Félix pendant l’exil de Libère, faisaient sonner bien haut leur martyre, quoiqu’ils eussent vécu fort paisiblement à Rome. Ursin, candidat de ce parti à la papauté, était un homme entreprenant, alerte, passé maître en fait de brigues et de complots, assez mal famé pour ses mœurs. Chef d’une petite armée de diacres qui lui ressemblaient et battaient le pavé de Rome pour lui, soit dans les riches quartiers du patriciat, soit autour des échoppes de la plèbe, il se recruta force électeurs et agens parmi les cochers du cirque, les mimes, et jusque dans cette classe immonde des « mangeurs de saucisses et de trognons de choux » qui avaient, comme nous l’avons dit, leur domicile de jour et de nuit sur les