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indépendance. On veut, pour que le pape soit indépendant, qu’il soit gardé à Rome par une armée étrangère ! On répète comme un oracle profond le lieu-commun attribué à Napoléon : « Il ne faut pas que le pape soit à Paris, à Vienne ou à Madrid ; » mais croit-on que si l’on eût dit à Napoléon que le pape serait gardé à Rome par des Français, des Autrichiens ou des Espagnols, il eût vu là cette garantie d’indépendance qu’il demandait ce jour-là pour la papauté ? Si en 1849 les Autrichiens nous avaient gagnés de vitesse et nous avaient devancés à Rome, si depuis quinze ans ils entretenaient dans la ville éternelle un corps de quinze ou vingt mille hommes, quel est en France le catholique qui regarderait une telle situation comme normale, qui en demanderait la prolongation ? Nous faisons au patriotisme de M. de Falloux l’honneur de croire qu’il ne serait point ce catholique-là. Pourquoi donc vouloir charger la France d’une tâche qu’on eût trouvée odieuse et honteuse, si on l’eût vue remplie par un autre peuple ? M. de Falloux regrette les malentendus qui divisent en France les partis libéraux. Le plus grand et le pire des malentendus qui séparent de la démocratie libérale ceux des catholiques qui voudraient être libéraux naît justement de la protection armée prêtée par la France au pouvoir temporel, et c’est M. de Falloux qui voudrait perpétuer ce démenti donné aux principes élémentaires du libéralisme et le malentendu funeste qui en est la conséquence ! Les catholiques éclairés, dont M. de Falloux est l’organe, sont d’ailleurs par trop pessimistes, ils manquent de confiance ; on serait tenté de leur dire qu’ils sont des hommes de peu de foi. Pourquoi s’opiniâtrent-ils à penser qu’entre la papauté et l’Italie voulant vivre d’une vie nationale indépendante toute réconciliation est impossible ? Pourquoi, au lieu de rechercher de bonne foi et avec confiance ce qui pourrait unir l’Italie et la papauté, s’obstinent-ils à envenimer les préjugés qui les divisent ? Si l’inexorable force des choses oblige la papauté à se dépouiller d’attributions politiques qui ne sont point inhérentes à son essence religieuse, pourquoi, s’érigeant en prophètes de malheur, renoncent-ils à croire que l’église pourra conserver son indépendance, et la conscience religieuse sa liberté ? M. de Falloux nous prend nous-mêmes à partie. Nous avons exprimé depuis longtemps la conviction que la fin du pouvoir temporel mettrait un terme à ces garanties prétendues d’indépendance que le catholicisme avait cru trouver en France dans les concordats, qu’alors les consciences catholiques seraient forcées de chercher des garanties plus nobles et mieux assurées dans les libertés politiques de droit commun, que la cause des revendications libérales dans notre pays recevrait ainsi une force morale et un mobile d’action qui lui ont manqué jusqu’à ce jour. Certes nous n’avons jamais imaginé que cette transition pût s’accomplir sans lutte ; mais la lutte, c’est la liberté même, et les libertés que l’on garde sont celles que l’on a laborieusement conquises, non celles que l’on a reçues avec indifférence comme l’octroi d’un pouvoir bénévole. M. de Falloux nous conteste cette espérance ; il est le médecin tant pis du catholicisme