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sociale du pays, qu’il supprime un village ou qu’il chasse une population entière vers la Sibérie. Dans cette partie de la Pologne que le droit de 1815 a appelée et que, par un euphémisme, le gouvernement russe continue à appeler « le royaume, » c’est autre chose : il y a un lieutenant de l’empereur, un namiestnik, des généraux, des officiers qui dépendent de lui, et tout à côté il y a un pouvoir assez difficile peut-être à définir, qui prend le nom de comité constituant, et qui en réalité est une sorte de comité de salut public investi de pouvoirs dictatoriaux, se ramifiant dans une multitude de commissions exécutives chargées d’appliquer dans les provinces la politique nouvelle. Le but est l’assimilation complète de la Pologne à la Russie par la transformation violente ou la désorganisation de tout un état social. En un mot, on peut dire que le royaume est livré pour le moment, comme un champ d’expérience, à un parti qui se décore du nom de parti national russe, et qui, ne pouvant encore réaliser complètement ses théories dans l’empire, s’est jeté sur la Pologne pour y réaliser ses idées et y promulguer ses lois sous l’apparence d’un faux et envahissant patriotisme, à l’abri d’une omnipotence militaire raffermie par une récente victoire. C’est cette pensée d’absorption violente, d’assimilation meurtrière, que représente le comité constituant de Varsovie, et qu’il propose comme le remède souverain contre toute possibilité d’une insurrection nouvelle, J’ajouterai que c’est là, par malheur, la pensée du parti qui se représente aujourd’hui le plus bruyamment en Russie comme libéral et progressiste, qui ne voit le libéralisme et le progrès que dans le nivellement général et absolu, dans la haine de toute supériorité morale et sociale, dans une centralisation vigoureuse, dans l’omnipotence de l’état se chargeant lui-même de tout faire, de tout réformer, au moyen d’une bureaucratie éclairée.

Le comité, tout-puissant aujourd’hui à Varsovie, se compose d’ailleurs d’élémens divers, de nuances diverses de cet étrange libéralisme. Il y a les doctrinaires de ce radicalisme autocratique, progressistes égalitaires, partisans des réformes faites d’en haut, au besoin par des moyens révolutionnaires, et il y a aussi des représentans de ce parti qui s’appelle en Russie slavophile, de ce parti aux aspirations vagues et indécises qui voit le plus haut idéal de société dans l’organisation rurale primitive de la Russie, dans la commune moscovite. Le chef principal et l’homme d’action de la première de ces opinions dans le comité qui a entrepris de réorganiser ou de désorganiser la Pologne est M. Milutine, le frère du ministre de la guerre de Saint-Pétersbourg, celui dont on a parlé plus d’une fois comme du futur ministre de l’intérieur de l’empire. C’est le type du libéral, du réformateur à la Pierre le Grand par voie d’autorité et de coup d’état, du théoricien d’une vaste démocratie surplombée d’un tsar. Ce n’est point assurément un homme vulgaire. M. Milutine est une intelligence expérimentée et hardie, avec des dehors doux et affables. Sous un extérieur séduisant, Il cache des