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c’est qu’aucun d’eux n’était réellement du parti exalté. Raphaël Krajewski était un jeune architecte né dans le palatinat de Plock. Il avait été de bonne heure condamné au travail par la modicité de sa fortune, et par la mort de son père il était resté le protecteur d’une famille nombreuse, notamment de quatre frères, l’un aujourd’hui déporté, l’autre mort sur le champ de bataille, un troisième exilé. C’était un homme d’une vie pure, presque austère dans un temps de mœurs faciles, d’une intelligence supérieure, d’une modestie aimable, qui inspirait une sympathie mêlée de respect. Il avait voulu d’abord partir comme volontaire et avait été retenu par quelques amis, qui, sachant ce qu’il valait, le croyaient propre à rendre de plus éminens services sans quitter Varsovie. Il n’était point entré toutefois dès l’origine dans l’organisation nationale ; il n’y entra activement que plus tard, lorsque le gouvernement se transforma. C’est lui qui restait chargé de l’administration intérieure aux heures les plus difficiles, au moment où les bandes commençaient à se dissoudre, où les armes étaient saisies à toutes les frontières, où les persécutions russes reprenaient une vigueur nouvelle, et où un espionnage acharné serrait de près le gouvernement. Krajewski ne faiblit pas un instant, gardant le courage pour faire face à tout dans cette cruelle extrémité où l’espoir n’était plus permis, et il refusa jusqu’au bout de quitter son poste.

Jean Jezioranski avait été employé dans l’inspection des tabacs avant l’insurrection, et il était, selon l’acte d’accusation, « commissaire des communications. » Joseph Toczyski avait été, à la suite des mouvemens de 1846, envoyé en Sibérie, où il était resté dix ans, et d’où il n’était revenu qu’en 1858. Doué d’un caractère viril trempé dans les souffrances, d’une conception prompte, d’un esprit avide d’instruction, il avait acquis des connaissances étendues en économie politique. À son retour de Sibérie, il était entré dans l’administration de la Société Agricole, puis dans l’administration des routes. Modéré d’ailleurs comme tous les Sibériens, il n’était entré que vers la fin dans le gouvernement national comme directeur des finances. Toczyski avait une haute stature et un visage pâle prompt à s’animer dans la discussion.

Roman Zulinski était un jeune professeur de mathématiques au premier lycée de Varsovie. Il avait fait ses études à l’université de Moscou. Il joignait à une science réelle un caractère qui le faisait aimer de ses élèves comme de ses collègues, un rare bon sens, une activité infatigable. C’était un de ces hommes qui se trouvent dans toutes les entreprises utiles ; il avait aidé à l’organisation des écoles du dimanche, des écoles du soir. On ne le trouvait jamais froid. Ils étaient six frères dans cette famille, sans compter Roman. Un a été tué dans un combat, deux sont en Sibérie, deux en prison, un en exil ; le septième a eu la mort du gibet comme membre du gouvernement national, — et la malheureuse mère de cette légion de victimes est encore vivante ! Roman Zulinski était une sorte de secrétaire