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avait ses trésors, 40, 000 talaris, beaucoup d’or et d’argent en lingots, sept mille fusils, sous la garde d’un de ses fils. Le vainqueur fit amener devant la forteresse Oubié chargé de chaînes, et fit dire au jeune prince, que la vie de son père dépendait de sa soumission. Cette mesure peu chevaleresque eut l’effet attendu, et la place capitula. À Amba-Hai ou dans une citadelle voisine était enfermé depuis dix-sept ans le vaillant Sobhogadis-Kassa, fils du prince de même nom tué en 1831 dans le combat de Maï-Islamaï, et victime lui-même d’une insigne trahison d’Oubié. Il courait le risque de ne faire que changer de chaînes, lorsque sa fille, princesse fort jeune et d’une remarquable beauté, alla trouver hardiment le nouveau négus et lui demanda la liberté de son père. Sa piété filiale, mieux encore, sa beauté, firent une favorable impression sur le jeune vainqueur, qui délivra Sobhogadis et prit pour favorite la gracieuse suppliante. La conquête du Tigré était finie : le négus donna cette vice-royauté importante à Balgada-Aræa, brillant soldat, sans capacité administrative, et, désormais assez fort pour tout oser, il mit Oubié aux fers.

Théodore mûrissait alors un projet cher au patriotisme abyssin, celui d’ouvrir une croisade contre les Turcs maîtres des basses terres qui avaient jadis appartenu à l’Abyssinie. Les troubles du sud ne lui laissèrent pas le temps d’agir. Il y a dans le nœud de montagnes qui sépare le Choa du gros de l’empire un peuple musulman de race étrangère, les Ouollos, colonie avancée de cette puissante race galla qui bat depuis trois siècles, comme une mer mugissante, les frontières de l’Ethiopie, qu’elle a déjà dévorée à moitié. Fédération de chefs indépendans dont les plus puissans étaient alors Oarkèt, princesse de Worra, et Adara-Billé, seigneur de Tehuladéré, les Ouollos avaient soulevé chez les chrétiens abyssins des colères légitimes : ils étaient en quelque sorte les reîtres de l’Afrique, prêtant au plus offrant leur redoutable cavalerie, et ajoutant à l’horreur des guerres civiles l’âpreté de leur haine fanatique contre les chrétiens. Théodore II, qui avait eu affaire à ces féroces mercenaires, s’était juré de les mettre hors d’état d’ensanglanter désormais les provinces chrétiennes, et ils eurent l’imprudence de le provoquer au moment même de son plus éclatant triomphe. Il apprit que les Ouollos, conduits par la princesse Oarkèt, avaient franchi les rampes abruptes du fleuve Bachilo et ravagé les provinces chrétiennes, principalement les églises. Théodore marcha sur eux. Oarkèt recula, et le négus, prenant pour base d’opérations la rive gauche du Bachilo, se mit en mesure de conquérir le pays entier des Ouollos. Ceux-ci, commandés par Adara-Billé, présentèrent bravement la bataille au négus, et furent taillés en pièces ; leur chef resta sur la place, et les prisonniers furent mutilés sans pitié. Les survivans renoncèrent à la