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léguer qu’une âme détériorée, de même que des parens malsains donnent le jour à des enfans malsains comme eux. Ses idées sur la propagation des âmes lui rendaient cette explication toute naturelle : le péché est un virus héréditaire, voilà comment on pourrait la résumer. Ajoutons qu’il n’a aucune idée d’une corruption totale de la nature humaine. Il a bien soin de maintenir que si l’âme, cette lumière de Dieu, peut être obscurcie, parce qu’elle n’est pas Dieu lui-même, elle ne saurait être éteinte, parce qu’elle est de Dieu. Il n’entend pas non plus parler d’une imputation du péché originel comme celle qu’enseigna plus tard l’augustinisme et qui passa dans le dogme de l’église, comme si nous étions coupables aux yeux de Dieu de l’état vicié dans lequel nous naissons. Pour lui, l’enfant est un être innocent dont l’on peut sans péril aucun ajourner le baptême, parce qu’il n’a rien à craindre encore de la divine justice ; mais il n’en est pas moins vrai que son traducianisme, comme s’appela sa doctrine de la propagation des âmes et du péché par la génération, fraie la voie à son illustre compatriote Augustin, et il est à noter que ces vues mélancoliques sur la nature humaine et sa misère morale, si contraires à l’optimisme qui distingua longtemps la théologie non moins que la mythologie grecques, ont trouvé leurs plus célèbres représentans sur cette terre d’Afrique où le vieil esprit punique, avec son goût pour les cultes sombres et les religions tragiques, n’était peut-être pas aussi éteint qu’on l’eût pensé.

On se serait attendu dès lors à trouver chez Tertullien une doctrine de la rédemption en harmonie avec sa conception de la chute. Il n’en est rien. Sauf quelques phrases isolées dans ses écrits, empruntées au vocabulaire de l’église, qui continuait de se servir d’expressions pauliniennes sans en bien voir la portée, on ne découvre rien qui ressemble à un dogme sur ce que Jésus a fait comme sauveur. Ce n’est guère que comme révélateur et législateur que le Christ apparaît dans sa doctrine, et même les termes d’expiation, de sacrifice, de victime propitiatoire, etc., qui depuis acquirent un sens si déterminé dans la théologie augustinienne, sont employés par lui dans un sens qu’on devrait dire tout pélagien. De la misère morale provenant de la chute, Tertullien conclut seulement la nécessité des œuvres et des exercices ascétiques. C’est qu’au fond pour lui le rédempteur, c’est moins le Fils que l’Esprit, ce spiritus divin qui vient encore tous les jours communiquer avec l’âme humaine, sa sœur d’origine, pour la restaurer, la guérir, lui inspirer la vérité et le courage de supporter les expiations rigoureuses dont elle a besoin pour se purifier. Encore ici nous voyons paraître le montanisme comme le terminus ad quem des idées théologiques de Tertullien. C’est donc ce curieux mouvement de la seconde moitié du second siècle qu’il nous faut décrire en achevant cette étude.