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montanisme de Tertullien fut le résultat naturel de ses tendances personnelles. Ce qui le prouve, c’est que, d’un bout à l’autre de ses écrits, on peut discerner les principes et les dispositions qui devaient faire de lui un montaniste. Un de ses commentateurs a dit avec beaucoup de justesse que, si Tertullien n’a pas toujours été montanista, il a toujours été montanizans. Ce fut son goût prononcé pour l’ascétisme le plus rigide et son besoin d’autorité immédiate, coupant court à toute inquiétude d’esprit, qui d’avance le porta à bien accueillir ce mouvement montaniste, dont les effets furent d’une si grande importance pour la constitution de l’église au IIIe siècle. Le montanisme en effet prétendit réformer l’église du IIe siècle en ramenant la discipline à sa sévérité première, en dépassant même les anciennes prescriptions, et à l’autorité encore mal assise des évêques et des traditions épiscopales il opposa les oracles immédiatement inspirés d’en haut à ses prophètes et à ses prophétesses. C’était venir au-devant de tout ce qui avait fait de Tertullien un chrétien et un catholique. Aussi ne faut-il attacher qu’une médiocre valeur aux recherches ayant pour but de déterminer quels sont, parmi les nombreux écrits de Tertullien, ceux qui appartiennent à sa période catholique et ceux qui furent écrits depuis son passage au montanisme. Si plusieurs d’entre eux peuvent être rapportés avec certitude à l’une ou à l’autre période, il en est d’autres qui sont déjà montanistes par l’esprit, le point de vue, les doctrines, et qui pourtant pourraient fort bien avoir été écrits avant sa rupture avec l’église[1].

Ce qui toutefois pourrait donner quelque consistance à l’assertion de Jérôme, c’est que la tendance montaniste, d’abord favorisée à Rome sous l’épiscopat d’Éleuthère (171-192), se vit complètement refoulée sous ses successeurs. Nous savons pertinemment aujourd’hui qu’à la fin du IIe siècle un grand relâchement disciplinaire et

  1. Voici toutefois une liste de ses ouvrages basée, autant que faire se peut, sur les deux phases de sa vie religieuse. 1° Appartiennent à la période catholique les traités De la Prière, Du Baptême, A sa femme, Aux Martyrs, De la Patience, De la Prescription des hérétiques (la fin de ce traité n’est pas de lui). — 2° Les livres De l’Apologie, Aux Nations, Du Témoignage de l’âme, Du Pallium, Contre Hermogène, Contre les Valentiniens, A Scapula, Des Spectacles, De l’Idolâtrie, De la Parure des femmes, n’autorisent pas un classement bien certain, et peut-être le plus probable serait-il qu’ils ont été composés dans les années de transition, lorsque Tertullien laissait percer de plus en plus ses tendances montanistes sans avoir encore brisé avec l’église. — Enfin 3° les Cinq livres contre Marcion, les traités De l’Ame, De la Chair du Christ, De la Résurrection de la chair, Contre Praxéas, le Scorpiaque ou Antidote contre les gnostiques, De la Couronne militaire, Du Voile obligatoire pour les vierges, De l’Exhortation à la chasteté, De la Fuite dans la persécution, De la Monogamie, Du Jeûne, De la Pudeur, appartiennent visiblement à la période du montanisme déclaré. On est assez généralement d’accord aujourd’hui qu’on a attribué à tort à Tertullien les traités De la Pénitence et Contre les Juifs.