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qu’on avait à la bouche. C’est assurément une grande gloire que d’avoir soutenu et consolé tant de nobles cœurs dans ces cruelles épreuves, et je crois que Caton n’en aurait pas souhaité d’autre.


III

La conséquence à tirer de la conduite de César après Pharsale et de ses rapports avec Cicéron, c’est qu’à ce moment il voulait se rapprocher du parti républicain. Il lui était difficile de faire autrement. Tant qu’il s’était agi de renverser la république, il avait accepté l’appui de tout le monde, et les plus méchans étaient venus à lui de préférence. « Quand un homme était perdu de dettes et manquait de tout, dit Cicéron, s’il était prouvé de plus qu’il fût un scélérat capable de tout oser, César en faisait son ami ; » mais tous ces gens sans scrupules et sans principes, excellens pour renverser un pouvoir établi, ne valent rien pour établir un pouvoir nouveau. Il était impossible que le gouvernement de César inspirât quelque confiance tant qu’on ne verrait pas auprès du maître, et à côté de ces gens de coup de main qu’on avait appris à craindre, quelques personnages honorables qu’on eût l’habitude de respecter. Or les personnages de ce genre se trouvaient surtout parmi les vaincus. Il faut ajouter que ce n’était pas la pensée de César qu’un parti seul profitât de sa victoire. Il avait une autre ambition que de travailler, comme Marius ou Sylla, au triomphe d’une faction : il voulait fonder un gouvernement nouveau, et il appelait des hommes d’opinion différente à l’aider dans son entreprise. On a prétendu qu’il avait cherché à réconcilier les partis, et on lui en a fait de grands complimens. L’éloge n’est pas tout à fait juste : il ne les réconciliait pas, il les annihilait. Dans le régime monarchique qu’il voulait établir, les anciens partis de la république n’avaient pas de place. Il s’était adroitement servi des discussions du peuple et du sénat pour les dominer tous les deux. Le premier résultat de sa victoire fut de les mettre à l’écart l’un et l’autre, et l’on peut dire qu’après Pharsale, à l’exception de César lui-même, il n’y avait plus que des vaincus. C’est ce qui explique qu’une fois victorieux il se soit servi indifféremment des partisans du sénat comme des démocrates.. Cette égalité qu’il mettait entre eux était naturelle, puisqu’ils étaient tous devenus également et sans distinction ses sujets. Il savait bien seulement qu’en acceptant les services d’anciens républicains il n’aurait pas des instrumens toujours dociles, qu’il serait forcé de leur accorder une certaine indépendance d’action et de parole, de conserver, au moins pour les dehors, quelque apparence de république. Cela même pourtant ne lui faisait pas trop de peine. Il n’avait pas