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leurs confrères de l’Institut, et demandaient s’ils n’auraient pas comme eux le droit de juger des concours, les défenseurs officiels du décret et M. le ministre lui-même se crurent forcés de leur répondre : Rien de plus juste, on ne veut pas vous réduire à néant, et le gouvernement ne peut manquer de vous fournir un jour ou l’autre les moyens de développer l’étude des arts et de récompenser les efforts individuels, en d’autres termes de juger des concours et de décerner des prix. Nous n’examinons pas si la promesse était plus ou moins sérieuse ; elle constate seulement l’évidente justesse de la réclamation. Mais en attendant qu’advient-il ? L’Académie est comme dans le vide, sans contact avec le public, sans occasion d’influence, et peu à peu, si ce régime se prolonge, on la verra, malgré l’éclat de ses anciens services, malgré les restes d’auréole dont certains noms, certaines œuvres sembleront encore l’entourer, on la verra tomber à l’état que lui souhaite l’auteur de la brochure, vivant à peine, comptée pour rien.

Et d’un autre côté l’Académie de Rome, si ce n’est plus son ancienne patronne qui veille à ses destinées avec des soins, des sympathies, une constance, une régularité, nous pourrions presque dire avec un cœur de mère, si son recrutement, ses travaux, ses tendances sont livrés aux chances du hasard et comme abandonnés à de mobiles affections, pensez-vous qu’elle aussi puisse longtemps survivre ? Nous admettons le bon vouloir de l’administration d’aujourd’hui, la clairvoyance du jury qu’elle nomme ; mais demain tout peut être changé, disons mieux, tout doit l’être, car enfin il faut croire qu’on n’a pas fait une révolution pour ne s’attaquer qu’aux personnes et laisser subsister les choses, que chaque année on n’affectera pas de s’enfermer, comme on vient de le faire, dans la pure tradition, de simuler le statu quo, que dans le choix des programmes de prix on osera faire quelques frais d’audace et d’imagination ! Il faudra bien un jour nous donner autre chose qu’Ulysse bandant son arc et Homère au milieu des bergers ; il faudra que l’esprit novateur, que l’esprit du décret se décide à paraître, avoue ses préférences, confesse ses hérésies ! Eh bien ! ce jour venu, quand l’imprévu, l’irrégulier, la fantaisie, le dédain de la règle, l’oubli des grands exemples, tout le cortège obligé de « l’originalité personnelle, » deviendront lois au palais Medici, quand on verra ce noble asile, de plus en plus désert, n’être plus pour les arts qu’un abri matériel, et ses rares habitans ne se gouverner qu’à leur mode, sans contrôle et sans direction, il deviendra si clair que l’établissement lui-même est sorti de sa voie et ne peut plus rendre aucun service, ces mots : « académie de France à Rome » seront si évidemment vidés de sens, que les meilleurs amis de l’institution