Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incapables, rien de mieux ; mais il faut viser juste et ne pas prendre au piège ceux qu’on veut ménager. On se fait plus de tort à perdre par sa faute un homme de talent qu’à subir dix médiocrités. Aussi tout bien pesé, le parti le plus sage, malgré l’attrait des nombres ronds, serait peut-être de n’adopter ni vingt-cinq ans ni trente, et de chercher entre ces deux points extrêmes, presque à distance égale, la vraie, la juste limite d’âge. Quoi qu’il en soit, cette question est trop douteuse et prête à trop de controverses pour que la solution qu’adopte le décret indique un parti pris d’affaiblir sciemment le personnel de l’école et de nuire à son recrutement. C’est une expérience hasardeuse : le statu quo peut-être était moins périlleux, bien qu’il eût ses inconvéniens ; mais après tout ce n’est pas là quelque chose d’aussi menaçant, d’aussi évidemment hostile au maintien de l’Académie de Rome que la combinaison qui supprime la meilleure part de ses recrues, les trois cinquièmes des pensionnaires.

Reste enfin l’innovation suprême, le coup de force du décret, la création de nouveaux juges substitués à l’Académie des Beaux-Arts dans son ancienne attribution et sa plus chère prérogative, la tutelle, la surveillance, le jugement des grands prix. C’est là peut-être de toutes les attaques à l’école de Rome la plus réelle et la plus redoutable. Ses adversaires ne s’y sont pas mépris. Ils ont senti quelle force se prêtaient l’une à l’autre ces deux académies de Rome et de Paris, et pour s’en délivrer, pour en avoir raison, pour les frapper en quelque sorte de stérilité, d’impuissance, ils n’ont pas cru pouvoir mieux faire que de les séparer.

Qu’est-ce en effet qu’une Académie des Beaux-Arts purement honorifique, sans autre attribution que de prêcher des théories, sans autre action sur la marche des arts que d’abstraites remontrances ou des conseils toujours inappliqués ? Réduite au rôle de corps savant, notre quatrième classe de l’Institut n’a vraiment plus sa raison d’être. Voyez les autres classes, ses voisines, ses sœurs, compagnies purement littéraires ou savantes, dont les travaux sont tout intellectuels et à qui l’exercice abstrait de la pensée devrait à la rigueur suffire ; ne se croiraient-elles pas isolées du public, étrangères au mouvement des esprits, sans vie, sans action réelle et presque sans utilité pratique, si de nombreux concours préparés et jugés par elles, ne donnaient des preuves incessantes de leur activité et l’exemple sensible de leurs doctrines, de leur enseignement ? Cette participation à l’éducation supérieure des esprits est si évidemment la condition vitale de ces sortes de corps, que lorsqu’après le décret de novembre les membres de l’Académie des Beaux-Arts, exposant leurs griefs, se plaignaient d’être plus maltraités que tous