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tout ne concorde point dans les tendances du gouvernement, cela frappe les yeux. La pensée qui ajourne l’émancipation de la presse et celle qui, par les actes de M. Duruy, ramène l’instruction publique vers ses traditions libérales ne semblent point homogènes. On en peut dire autant de la politique qui recommande les grands travaux publics et de celle qui ne veut point rouvrir le grand-livre. Si l’on avait eu besoin d’un avertissement nouveau pour prendre garde à l’imprudence de cette grande campagne de travaux publics où l’on veut pousser l’état, on le trouverait dans la lecture de l’exposé du dernier budget de la ville de Paris, que M. Haussmann vient de soumettre au conseil municipal. Assurément le préfet de la Seine est un des serviteurs les plus capables du gouvernement. Il déploie dans son œuvre un esprit de ressources, une puissance de combinaisons, une énergie, qui le mettent bien au-dessus des administrateurs ordinaires. Il est le Louvois de la guerre aux maisons et aux rues, et nous admirons autant que personne les résultats auxquels il est vigoureusement parvenu ; mais M. Haussmann ne veut point s’arrêter. Il prévoit d’ici à dix ans une augmentation annuelle de plus de 50 millions pour les recettes de la ville ; il compte ainsi réunir en dix années une ressource de plus de 500 millions, et ce demi-milliard, il compte l’employer intégralement à poursuivre la transformation de Paris. M. le préfet ne veut rien distraire de cette somme pour diminuer les taxes d’octroi, fût-ce même pour réduire de quelques centimes la bouteille de vin que boit l’ouvrier. Il n’a aucun goût pour ces expériences, si intéressantes pourtant, que l’on peut faire sur les taxes de consommation. Il est de cette école qui croit que l’argent qu’on laisse dans la poche du contribuable à la suite d’une remise d’impôt est inutilement perdu pour l’administration. Si M. Haussmann pensait que les contribuables de Paris ont quelque titre à s’occuper de l’emploi des taxes qu’ils paient, s’il recherchait auprès de son conseil municipal le contrôle autant que le concours, peut-être, en fin de compte, pourrait-on lui démontrer qu’il y aurait quelque sagesse à ne pas consacrer tout entiers les excédans de nos budgets au percement de nouvelles rues. Cette application de capitaux si considérables à la destruction des maisons et à la mise en état des terrains imprime à une seule nature de spéculations et d’industrie une activité exagérée, et qui, au premier moment, peut amener de redoutables crises. Ce ne sont pas seulement les 500 millions avec lesquels M. Haussmann va agir qu’il faut considérer : ces 500 millions sont une puissante amorce qui doit attirer des capitaux plus importans encore dans l’œuvre de la transformation parisienne. Des entraînemens de ce genre, qui poussent vers une application unique le capital et le travail, tendent à rompre le véritable équilibre industriel, renchérissent artificiellement le loyer de l’argent et le prix de la main-d’œuvre, et, à la première chance contraire, aboutissent à de grands désordres économiques. Nous souhaitons que M. Haussmann, emporté par l’ivresse de l’action, ne regrette point un jour de n’avoir pas